LES PIONNIERS DU ROCK

 

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Paul André - J.Jième -Agence Century

 

Jean-Noël Coghe, reporter

rock.

 

Piero Kenroll, presse rock francophone

 

Ludo Debruyn - Lion Promotions - Mardeb.

 

Francine Arnaud animatrice RTB

 

Paul Coerten, photographe rock 1960-80

 

Erik Machielsen chasseur d'autographe

 

Jean Martin, impresario

 

Jean-Hubert De Groot, photographe amateur des sixties

 

*

Genesis et la Belgique

 

Les cinq Pop Hot Shows.

 

Onyx Club - Sibémol-Jack Say - Studio Des

 

Studios

enregistrements années 50-60-70

 

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Disco Revue magazine Berthon

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LES PIONNIERS DE L'HISTOIRE DU ROCK EN BELGIQUE

PIERO KENROLL, LE  PIONNIER DE LA PRESSE ROCK FRANCOPHONE

 

Raconté par Jean Jième avec la collaboration de Piero et de ses archives

 

Piero Club des aigles

Piero au centre en blouson blanc entouré de quelques participants en partance

pour Londres, dans le cadre d'un voyage organisé par Télé Moustique.

 

PÉRIODE 1959 - 1965

Mis à part, son incontestable intérêt historique, Cœur de Rock (Edition Apach) décrit à merveille l'état d'esprit d'une certaine jeunesse qui se retrouva confrontée à une décennie exceptionnelle. Les sixties bouleversèrent l'establishment et permirent à la jeunesse de se distinguer du monde des adultes. L'apparition du rock and roll modifia profondément les goûts et les comportements et contribua à faire souffler un vent de liberté et de rébellion qui trouva son exutoire en mai 68.

 

Dans son livre de souvenirs, Piero Kenroll, narre avec humour son long parcours de défenseur de la cause du rock en Belgique. Pour lui, cette mission s'est imposée d'elle-même.

 

Piero a sans doute été le premier à dénoncer le fait que le rock n'avait pas le même droit de cité que la musique classique ou la variété française. La preuve, il n'existait aucune émission digne de ce nom à la radio, pas plus que de programmes télés. Lorsque la vague du yé-yé a déferlé, les programmateurs l'ont aussitôt soutenue au point parfois de faire croire à leurs auditeurs qu'elle seule comptait. Que devenaient dans le même temps, les véritables créateurs des versions originales ? On n'en parlait pas.

 

Aujourd'hui, Piero me laisse carte blanche pour que je puisse citer des extraits de son livre Cœur de Rock et les mettre à la disposition des internautes. Comme le livre comporte cent soixante pages, j'ai dû opérer diverses sélections. J'ai donc opté essentiellement pour les chapitres qui évoquent ses rencontres avec les musiciens et orchestres du début des années 60 et après.

Que ceux et celles qui désirent découvrir la partie plus anecdotique et perso de ses mémoires, n'hésitent pas une seule seconde à lire le bouquin . Les détails sont pittoresques et relatent avec humour et une certaine autodérision la période des débuts du rock en Belgique de 1957 à 1969.

PIERO ET LE CLUB DES AIGLES

 

Schaerbeek 1959 – Quartier d'Helmet. Une bande de copains se côtoient à l'abri d'un cabanon, situé au milieu du parc qui jalonne l'avenue Huart-Hamoir. Ils ont entre quinze et seize ans. A cet âge, il n'y a pas grand-chose à espérer pour meubler les fins de journée et les deux jours de week-ends. Pas de télé, pas de sous pour se payer plus d'un ciné de temps en temps. Restent les bistrots, les flippers et les tangos grenadines.

 

Piero Kenroll 1960

 

Il arrive que, certains, plus âgés organisent des surprises parties dans leur garage. Les jeunes s'y déplacent en bande ; s'essaient à un pas de danse ou prennent leur courage à deux mains pour draguer.

 

L'un des membres de la bande du parc s'appelle Piero. Fils de parents divorcés, il se cherche et ne sait absolument pas ce qu'il fera plus tard. C'est déjà un grand fan d'Elvis dont il a acheté les premiers 45 tours.

 

Lorsque sa mère déménage rue de l'Ecuyer en plein centre de Bruxelles, Piero se retrouve coupé de ses racines. Il fera donc des allers retour quotidiens pour rejoindre sa "vraie" famille. Il fait la connaissance de Donald qui lui propose de venir écouter des disques chez lui.

 

Là, Piero a l'oreille attirée par un morceau des Isley Brothers, Shout . Plus il l'écoute, plus il se sent euphorique. Ce jour là, il se découvre une passion pour la musique rock. Une véritable révélation.

 

 

 

 

 

 

 

 

La bande des loubards du parc

 

 

LES KING CREOLES

 

Donald lui présente un de ses copains musiciens, Shorty, qui leur apprend qu'il va se produire dans un bistrot de la chaussée d'Helmet avec un orchestre qui s'appelle les King Creoles.

 

Cœur de Rock : Aaah … la soirée avec les King Creoles. Presque tous les copains sont là, dont certains avec leurs parents. C'est Shorty qui présente. Il n'y a pas beaucoup de musiciens dans cet orchestre : quatre seulement. Mais ils ont l'air sympas et dynamiques. Le chanteur est, paraît-il, « le Elvis Presley belge ». Il s'appelle Burt Blanca. Et c'est vrai qu'il ressemble un peu à Elvis. Les traits sont moins fins, mais l'allure générale est directement inspirée du vrai. Burt joue aussi de la guitare.

 

Comme Shorty. Ce dernier explique que le type qui a une guitare plus grande que les leurs, c'est le frère de Burt. Maurice, je crois. L'espèce de «planche à repasser» (ce sont les mots de Shorty) qu'il tient entre les mains est en réalité une basse. C'est comme une guitare, mais au lieu de six cordes, il n'y en a que quatre, et elles font plonk-plonk au lieu de faire plink-plink. Le quatrième musicien se tient un peu en retrait. Il est présenté comme « Bob à la batterie ! » Shorty continue ses explications

 

 

 

SHORTY AND THE FIREBLAZERS

 

— L'espèce de lessiveuse devant ses pieds là, c'est une grosse caisse. La casserole à sa gauche, bien qu'elle soit noire sur le côté, c'est une caisse claire. Le grand plat : une cymbale. Les deux assiettes à pédale : un charleston....

 

Pas possible, ce gars est obsédé par les travaux ménagers ! L'orchestre commence à jouer. La musique prend possession de la salle. À la table à côté de la nôtre, il y a la mère du batteur. A chaque morceau, elle s'indigne de ce que les autres laissent, selon elle, tout le travail à son fils. [….]

 

La piste est envahie. Encore une fois, je me rends compte qu'il est grand temps que j'apprenne à danser. En attendant, à cause de tous ces danseurs, on ne voit quasiment plus les musiciens. Mais ce qui est agréable c'est l'ambiance. On baigne dans le son et le mouvement. C'est une façon plus vivante d'écouter de la musique qu'avec un disque.

 

 

Témoignage de Marcel De Schuyteneer, ex-Kili Jacks (8/11/2009)

 

Shorty c'était mon copain. Il habitait rue de l'Agriculture et moi, rue Richard Vandevelde. Je l'ai connu vers 55/56. Il s’appelait Pierre Gion. Il grattait déjà la guitare et on écoutait  cette nouvelle musique qui nous passionnait, sur AFN Frankfurt. Il jouait un peu de country, Hank Williams etc ... on savait discuter pendant des heures sur ce qu'on entendait. C'est comme ça que j'ai repris sa première gratte Hôfner.

 

En 1958, on avait décidé d'organiser une soirée Rock’n’roll Jamboreesalle Fontaine au  309 de la Chaussée d’Helmet. Quel culot !  Deux orchestres à l’affiche : celui de Shorty baptisé Shorty Lee Smith and the Wilcats et le mien Johnny Rivers and the Raunchy’s. Rivers comme Dick, piqué d'Elvis et Raunchy, succès instrumental de cette période. Entrée 10 francs.


Shorty a sûrement été l’un des premiers à se distinguer comme rocker dans la région Bruxelloise.


Depuis 55, il avait déjà le look western . Ca tranchait vachement avec les autres. Il roulait ses cloppes avec le Rizzla croix et le tabac en p'tit sachet de toile. Au début il se faisait appeller Lanky Smith pour choisir plus tard le pseudonyme de Shorty.

 

Avant 58 on avait déjà joué du skiffle ensemble sur du brol fabriqué avec des caisse d'orange etc ... quel bazar. Quand on est venu me chercher pour entrer dans les Kili Jacks on s'est perdu de vue.

 

 

FESTIVAL POUR TEENAGERS – BRUXELLES 2 JUIN 1961

 

 

Cœur de Rock : Ce vendredi 2 juin 1961, pour la première fois à Bruxelles, il y a un grand festival pour teenagers. Cela se passe le soir au Centre International Rogier, place Rogier en face du Bon Marché, dans la toute grande salle. En vedettes : les Cousins, bien sûr. Mais il y a aussi un chanteur français : Richard Anthony.

 

Les Français se mettent à s'intéresser au rock and roll. A part Richard Anthony, il y a un "Américain" établi en France, Johnny Hallyday qui commence à avoir du succès avec la chanson de nos Cousins, Kili Watch, et aussi les Chaussettes Noires. Mais je crois qu'en Belgique, il y a beaucoup plus de jeunes orchestres. Quelques noms pour ce soir : Bob Rocky, les Seabirds, Dan Ellery, les Jokers... Je n'ai aucune idée d'où ils sortent, mais pour passer à un festival de cette importance, ils doivent être fameux.

 

A gauche : Piero

 

Quand les lumières s'éteignent, tout le monde commence à lancer des sous-bocks sur la scène. Je ne sais pas pourquoi, mais ça met du mouvement. Un type vient présenter le premier orchestre. Il joue trois morceaux.

 

C'est la moyenne pour chaque ensemble. Ils sont bien une vingtaine à se succéder. Aucun n'est particulièrement mémorable mais, pour chacun, l'ambiance se fait de plus en plus chaude. Sur une table de la salle, un gars commence à danser. Pour mieux le voir, les spectateurs montent sur leurs chaises. Ils coupent la vue du podium à ceux qui sont derrière eux. Ceux-ci montent donc à leur tour sur les tables.

 

Nous voilà bien forcés d'en faire autant. Comme il y a déjà six personnes sur la nôtre, je n'arrive qu'à y mettre un pied. Heureusement, je trouve une place pour l'autre sur la table voisine qui est placée un mètre plus loin.

 

Richard Anthony

Piero Kenroll Les Aigles

John, Piero et Jean-Pierre.

 

 

LES DÉBUTS BRUXELLOIS DE RICHARD ANTHONY

Cœur de rock : Comme il y a déjà six personnes sur la nôtre, je n'arrive qu'à y mettre un pied. Heureusement, je trouve une place pour l'autre sur la table voisine qui est placée un mètre plus loin. C'est ainsi perché que j'assiste à l'arrivée de Richard Anthony : un petit gros à la voix mielleuse. Il n'a pas encore commencé à chanter que je me sens tiré par le bas du froc. C'est un type relativement âgé qui veut nous parler. Il a un accent français.

 

 

 

- Eh, les potes, vous savez quoi ? Johnny Hallyday est dans les coulisses avec sa guitare, et il voudrait bien chanter ici ce soir. Seulement, comme il n'est pas au programme, il ne peut venir que si le public le réclame. - Et alors ? Que pouvons-nous y faire ? - Faut crier : Johnny ! Johnny ! Johnny.

 

Richard Anthony commence à chanter. Nouvelle vague que ça s'appelle, sa chanson. Le gars qui nous a interpellés va faire son baratin à une autre table. Il n'est d'ailleurs pas seul, un autre type est occupé à convaincre une bande en chapeaux tyroliens un peu plus loin. Ils commencent à crier Johnny ! Johnny ! Richard Anthony fait semblant de ne pas entendre... Le type revient à notre table :

 

Ecoutez, si vous criez "Johnny", on vous enverra un de ses disques pour rien.

 

-Ah oui ? Vous ne nous connaissez même pas ! - Donnez-moi vos adresses.

 

Mince, un disque gratuit ! On ne va pas laisser passer une occasion pareille !

 

Nous écrivons vite nos adresses sur des sous-bocks et les remettons au bonhomme. Puis nous nous mettons à appeler le Johnny à notre tour. Richard Anthony n'a pas l'air heureux mais on s'en fout, il est plutôt mou comme chanteur. Le voilà qui demande :

 

- Vous voulez que je chante : Le petit clown ? - Le clown, c'est toi ! crie une voix dans la salle.

 

Et le voilà parti dans le Petit clown de mon cœur . C'est son grand succès en France. Mais moi, j'ai ce disque par les Everly Brothers et c'est nettement mieux. Le vrai titre c'est Cathy's Clown.

 

Les cris de Johnny ! Johnny ! redoublent. Mais Johnny ne viendra pas et Richard Anthony est depuis vingt minutes sur scène. C'est déjà bien plus long que ceux qui sont passés avant lui. Il va sûrement finir bientôt. Oui, il s'en va. Pour ça, nous l'applaudissons.

 

Finalement, ce sont les Cousins qui se taillent le plus grand succès. Leur nouveau disque Parasol est vraiment très bien. Il marche tellement qu'on a déjà donné le même nom à une sorte de limonade.

Quand tout se termine à minuit, je réussis à obtenir des autographes des Cousins et de quelques autres participants. Quelle chouette soirée ! Et dire que je vais recevoir un disque gratuit !

 

UN SIGLE POUR LA BANDE DU PARC

 

Fidèle auditeur de Luxembourg-Anglais, Piero écoute tous les soirs Elvis, Del Shannon, Paul Anka, Roy Orbison, Everly Brothers. Depuis quelque temps, il se tient également au courant de l'évolution du rock en lisant notamment Melody Maker et Music Express. Il se rend compte de l'abîme culturel qui sépare les pays anglo-saxons, de la France et de la Belgique.

 

Ainsi sur les ondes de notre radio nationale, la variété continue-t-elle à régner en maître avec Sacha Distel, Gilbert Bécaud, Line Renaud, André Claveau. Sans doute les programmes sont-ils construits pour distraire les ménagères vaquant à leurs occupations ménagères  dans cette époque de plein boom économique ?

 

Pour les jeunes … c'est le désert. Outre Manche, c'est tout autre chose. Piero a alors une idée. Pourquoi ne pas galvaniser l'énergie (souvent violente) de sa bande de copains en lui assignant un but. Pourquoi ne pas défendre le vrai rock'n roll ? Et en profiter pour dénoncer en même temps les mensonges éhontés de certains magnats du disque qui font passer Jean-Philippe Smets alias Johnny Hallyday pour un américain de souche.

 

Pour fédérer le mouvement, il crée un sigle personnalisé que sa bande pourra arborer sur le dos de leurs blousons de cuir. Il associe les initiales H.H. ce qui donne pour résultat un double H relié par une barre centrale commune. Ensuite, il récupère dans sa cave une boite d'insignes-souvenir datant de l'Expo 58 et qui n'ont pas trouvé preneur. Le 13 juin 1961, le sigle est prêt et présenté à la bande. Désormais, celle-ci exhibe fièrement ce signe distinctif partout dans les rues d'Helmet.

 

Le patron du bistrot Le Crystal qui leur prêtait de temps en temps un local situé à l'arrière de son bistrot, trouve les blousons noirs de plus en plus envahissants. Il décide de louer l'emplacement à un club de judo. La joyeuse équipe doit trouver un autre endroit de ralliement. Pourquoi pas au centre de la ville ?

 

Piero lorgne sur la Voix de son Maître, nom d'un magasin de disques situé dans les Galeries Saint-Hubert. Ce lieu commence à faire parler de lui par ses soirées exubérantes. Tous les premiers lundis du mois, le gérant organise une soirée avec des orchestres. Ça se passe en face de son magasin, dans la Galerie des Princes, dans un club privé qui s'appelle le Blue Note .

 

Blue Note

LE BLUE NOTE

 

Cœur de rock : Rien à payer. On reçoit des invitations au magasin. Il y a donc toujours un monde fou.

 

Et l'ambiance est fantastique. Si j'ai bien compris, il s'agit d'auditions. Les orchestres passent là et les directeurs de la Voix de son Maître, qui est aussi une marque de disques, choisissent les meilleurs et leur permettent d'enregistrer un quarante-cinq tours.

 

Je ne rate pas une de ces soirées. Un autre habitué est Jean-Pierre Pauwen, le fils du boulanger de la rue des Dominicains. C'est un maniaque de la photo et il peut monter sur scène parce qu'il a un appareil. Le veinard...

 

Spiders

LES SPIDERS

 

Les orchestres qui se passent au Blue Note, le premier lundi de chaque mois, sont de mieux en mieux. Il y a maintenant les Croque-Morts qui sont habillés tout en noir, avec des squelettes comme pendentifs. Ils ont surtout beaucoup de succès auprès des filles.

Elles les trouvent séduisants. Leur batteur Garcia Morales est tellement bon qu'il est en train de devenir une célébrité à lui tout seul.Il y a les Spiders qui ont, eux, un batteur de quatorze ans.

 

Piero présente Les Spiders

 

Twisteur masqué

LE TWISTEUR MASQUÉ

 

Il y a le Twisteur Masqué qui, avec sa cagoule, ressemble plus à un champion de catch qu'à un chanteur. Il ne montre jamais son visage et une rumeur veut qu'il soit quelqu'un de déjà connu.

 

Il y a Kirk Viking et ses Vikings qui jouent les mauvais garçons et aiment se faire remarquer. Nous avons sympathisé avec Kirk, qui est un gars qui sait ce qu'il veut. Il connaissait Jean-Pierre et apprenant que nous étions une petite bande, il est venu nous trouver. Il voulait absolument qu'une bagarre éclate durant sa prestation. Il allait même jusqu'à promettre cinq francs par bouteille ou verre cassé durant le temps où il était sur scène... Nous étions perplexes. Finalement, nous sommes restés discrets. Nous n'avions pas envie d'être expulsés.

 

Mais le plus fantastique, le plus merveilleux ensemble que le Blue Note nous ait fait découvrir, c'est celui de Clark Richard et ses Tropical Stars ! Le meilleur orchestre de rock que j'aie jamais vu. Vince Taylor compris !

 

Piero et le twisteur masqué.

CLARK RICHARD

 

 

D'abord Clark Richard est Indonésien, mais il vit en Belgique et il ressemble assez à Elvis. Il a le même genre d'expression dans le visage. Il ne fait rien pour le cacher et accentue stratégiquement la ressemblance en portant souvent une chemise bariolée comme Elvis dans Blue Hawaï. Il a le même genre de voix chaude quoiqu'un peu plus nasillarde.

s il a aussi ses propres compositions, comme Queen Of Love et Hot Rock Beat qui sont des rocks frénétiques. En fait de frénésie, le déchaînement des Tropical Stars sur scène est quelque chose de phénoménal.

Ces gars jouent de la guitare dans n'importe quelle position : à genoux, en se roulant par terre, en faisant le poirier, en tenant leurs instruments derrière le dos, derrière la tête... Le comble, c'est la fin de leur show : ils se ruent les uns contre les autres. On ne voit plus qu'une masse de corps au milieu de la scène et quelques bouts de guitares qui dépassent.

 

L'un est occupé à plaquer des accords sur le manche de son copain, tout en jouant un solo sur sa propre guitare. Un autre joue de la basse avec les pieds. Un autre se sert d'un pied de micro comme plectre. J'en passe et des plus incroyables.

 

Pour terminer, Clark et un autre guitariste grimpent d'abord sur les amplis puis sur les épaules des deux autres et continuent à jouer comme des dingues ! Les spectateurs ne se tiennent plus. Ils veulent en être eux aussi ! Certains montent sur scène pour porter les musiciens en triomphe. Ceux-ci se laissent faire... Et continuent de jouer comme s'ils avaient l'habitude. Après sa prestation, Clark Richard est assailli.

 

On veut son autographe, une poignée de main, sa chemise, un souvenir. On veut le toucher pour être sûr qu'il n'est pas un rêve. Personne ne doute qu'il devienne très vite une énorme vedette !

 

 

VINCE TAYLOR

 

Piero et ses potes ne ratent pas une manifestation. Ils sont le 18 octobre au Palais des Sports de Schaerbeek pour assister à la grande première de Johnny Hallyday. Le 11 novembre 1961, à l'Ancienne Belgique, ils assistent à la représentation donnée par Dick Rivers et les Chats Sauvages. Mais la date qui les excite tous au plus haut point, c'est le 28 novembre. Car Vince Taylor est annoncé au Cirque Royal.

 

Ce rocker anglais présenté dans la presse comme Américain, habillé d'une tenue de cuir noir et bardé de chaînes, déclenche, paraît-il, bagarres et hystérie lors des spectacles qu'il a donnés à Paris. En fait toute cette pub provocante et tapageuse a été montée de toute pièce par Eddie Barclay, qui à défaut d'avoir signé avec Johnny voudrait lui substituer Vince. Un concurrent en quelque sorte. Vince n'a jamais voulu qu'on le présente de la sorte. Il avouera plus tard en avoir profondément souffert.

 

Car son image de chanteur en aura été ternie. Mais le pire, c'est que le gouvernement belge de l'époque cède à cette mauvaise presse et interdit purement et simplement Vince Taylor de monter sur scène.

 

Lire Affaire Vince Taylor

 

 

LES AIGLES DE L'ILÔT SACRÉ

 

Le 6 mars 1962, jour de Mardi-Gras, Piero inaugure le Nid des Aigles dans sa chambre mansardée du cinquième étage du vieil immeuble qu'il occupe avec sa mère. La bande qui comporte déjà une quarantaine de copains fait la visite des lieux par groupes de huit ou dix. En effet, la mansarde ne peut en accueillir davantage. Juste à côté, il y a un grenier. Trois mètres sur trois. Assez pour en faire une piste de danse. Allez, tout le monde en piste pour le twist !

 

Monsieur Pauwen, le père de Jean-Pierre, est le fondateur de l'association des commerçants de l'Ilot Sacré. Outre sa boulangerie, il vient d'ouvrir un restaurant rue des Bouchers : La Ligne Droite. Or au premier étage existe une salle du même gabarit que celle du restaurant. L'idéal pour organiser des soirées.

 

Piero est ravi. Voilà le local qu'il cherche depuis si longtemps. Il en parle à Jean-Pierre, qui en touche un mot à son paternel, qui accepte de les laisser organiser des soirées privées. Voilà qui permet de contourner la stupide loi Vandevelde, qui interdit aux jeunes de moins de dix-huit ans de danser. Le prétexte : garantir une meilleure protection de la jeunesse.

 

Le père Pauwen qui voit cette association d'un bon oeil leur propose de s'appeler le Club des Jeunes de l'Ilot Sacré. Piero préfèrerait Club des Aigles, tout d'abord parce que leur base est un nid d'aigle et qu'il est bien connu que les plus redoutables blousons noirs arborent un aigle dessiné sur le dos. Jean-Pierre, en bon diplomate, propose un compromis avec Les Aigles de l'Ilot Sacré.

 

(photo prise en 1963)

ORCHESTRES À GOGO

BOUCANIERS - CYCLOPS - FELLOWS - JETS - KIRK VIKINGS - SPIDERS - REVENANTS - MYSTÉRIEUX - 1815 - MAUDITS - SOPHIE ET SES DON JUAN - TEMPÊTES.

 

Cœur de rock : 7 juillet 1962. Notre première soirée est un succès. Tout se passe bien. Pas de bagarre. D'ailleurs nous connaissons à peu près tout le monde dans la salle. Les Cyclops ne sont pas mal du tout. Comme beaucoup d'ensembles actuels, ils font uniquement de l'instrumental et jouent surtout des Shadows. Le père de Jean-Pierre est tellement content qu'il propose que pendant les prochaines fêtes de l'Ilot Sacré, en septembre, nous organisions un festival d'orchestres de jeunes dans la rue. […] Les 14, 15 et 16 septembre, les Aigles entrent vraiment en action [...]

 

Les Jets

Nous avons la responsabilité de trois soirées. L'une bien à nous à la  Ligne Droite  bien sûr. Puis deux autres où nous donnons un coup de main au Grenier de la Cité Bergère, une grande salle rue de la Fourche.

 

Comme attractions, nous avons Burt Blanca, Kirk Viking, les Spiders, les Jets et les Revenants.Certains d'entre eux passent aussi dans la rue sur un podium construit dans le haut de la rue des Bouchers. Sans complexe, je m'improvise présentateur.

 

Parait que j'ai, une bonne diction dans un micro et le public ne me fait pas peur. Il y a beaucoup de monde, beaucoup d'intérêt et certains journaux parlent des Aigles dans leurs articles sur les Fêtes. Nous sommes comblés. […]

 

Les Jets

 

Le samedi 24 novembre 1962, nous participons à l'élaboration du Grand Bal des Teenagers. Nous occupons la grande salle du Grenier de la Cité Bergère, beaucoup plus vaste que La Ligne Droite. Plus sympathique aussi. C'est un véritable grenier, immense, sous un toit avec de grosses poutres apparentes surplombant deux niveaux spacieux reliés par un escalier. Au programme : Kirk Viking et ses Vikings.

 

On ne sait pas trop pourquoi les soirées du premier lundi du mois au Blue Note ne continuent pas. Nous sommes catastrophés. Elles ont été notre modèle, notre source de découvertes. Ca va tout de suite créer un manque dans les activités possibles des teenagers bruxellois. Où sortir quand on a moins de dix-huit ans ? Heureusement, l'Inno se met à organiser des spectacles dans la salle de la Madeleine, rue Duquesnoy. C'est grand. On doit pouvoir y caser facilement un millier de spectateurs. En général, il y a un concours d'orchestres belges et une vedette française. Pourquoi diable n'y a-t-il jamais de chanteurs anglais qui viennent en Belgique ? […]

 

Le 26 février 1963, c'est Mardi-Gras et nous fêtons le premier anniversaire du club avec les Fellows. Un mois plus tard, le 30 mars, c'est la réussite sur le plan de l'affluence. L'ambiance n'a plus rien à envier à celle du regretté Blue Note. Il y a sept orchestres. (photo Kirk Viking)

 

D'abord, bien sûr, «nos» Fellows. Ensuite, les Mystérieux, qui n'ont de mystérieux que leur nom puisqu'ils jouent dans le style des Shadows. Les Boucaniers qui font effectivement pas mal de boucan. Sophie et ses Don Juans, un groupe que j'ai déniché à l'Onyx, un centre de répétition et de location de matériel près de la place de Brouckère. Les 1815, une autre formation instrumentale, assez originale, composée de trois grands types qui ont beaucoup de gueule et d'un tout jeune batteur. Enfin, les Damnés qui n'ont pas leur pareil pour interpréter les succès de Dion.

 

Les 1815

1815

Fellows

Les Cyclops

Cyclops

 

Jean-Pierre nous a quittés début février pour faire son service militaire en Allemagne. Son absence se fait sentir […]. Mais on remet ça avec autant de succès le 18 mai. Les 1815 sont revenus à la demande générale des demoiselles. Il y a encore les Scorpions, (à nouveau un groupe dans le genre des Shadows), les Immortels, très jeunes et très agressifs ceux-là, les Tempêtes, qui ont un club dans le genre du nôtre à Saint-Josse, et surtout les Maudits.

 

Damned, les Maudits ! Quatre petits mecs très nerveux, l'air farouche et bagarreur, débarqués tout droit du quartier des Marolles. Alors que les musiciens des autres formations portent une sorte d'uniforme, les Maudits sont simplement en blousons et jeans. Ils chantent en anglais, mais présentent leurs morceaux avec un accent bruxellois à couper le sifflet à Manneken Pis. Ils prennent possession de la scène et un frisson parcourt le public lorsqu'ils « attaquent ». Ce punch ! Cette énergie ! Cette cohésion ! Tout le monde est épaté. Jamais vu ça. On les sent prêts à répondre à la moindre provocation. Il y a autre chose en eux que le désir de « faire de la musique », il y a une attitude, un esprit. Faut-il ajouter qu'ils se taillent le plus gros succès.

 

EN RECHERCHE D'IDENTITÉ

1963. Alors que les Beatles gagnent le sommet des hit-parades et provoquent l'hystérie partout où ils se produisent, avec sur leurs talons des dizaines de groupes plus talentueux les uns que les autres, le show-business parisien tente de répondre à la demande de la jeunesse française en recherche d'idoles nationales.

 

En France, le magazine Salut Les Copains ainsi que l'émission radio, qui porte le même nom, participent communément au matraquage des antennes. De dix-sept à dix-neuf heures, la station fait découvrir chaque jour son écurie de nouveaux artistes. En octobre 2009, lors d'une interview,réalisée par Olivier Fogiel, ce dernier finira par faire avouer à Daniel Filippacchi qu'il s'agissait bien de matraquage. Oui, admettra l'ex PDG de Salut les Copains, je me suis inspiré de ce qui se pratiquait aux Etats-Unis.

 

La radio belge essaie tant bien que mal de suivre le mouvement. Elle se retrouve partagée entre les artistes yé-yé, les Beatles, la chanson de variétés qui plait tant aux parents et... la musique classique.

 

Piero qui cherche à se procurer les disques des nouveaux groupes anglais, se rend compte que les firmes discographiques belges ne s'y intéressent pas. Celles-ci préfèrent inciter les disquaires à privilégier les versions françaises aux originales. Piero ne trouve pas cette situation très normale. Il voudrait dénoncer cette injustice, mais comment ?

Un jour, il entend à la radio le titre Belles, Belles, Belles, chanté par Claude François. Une fois de plus, le chanteur adulé des minettes, s'est approprié une version originale (Girls, Girls, Girls par les Everly Brothers) pour bâtir sa réputation et sa carrière. Piero, qui en a fait un titre culte, n'apprécie pas. Quelques semaines plus tard, Claude François remet ça. Mais cette fois, il ose s'attaquer aux … Beatles en adaptant From me to you. La coupe déborde.

 

 

Cœur de rock  : Cette fois, c'en est trop ! Ces derniers temps, je trouvais déjà que les Français avaient un peu trop tendance à copier systématiquement tout ce qui marche sur Luxembourg-Anglais et qu'on n'entend jamais sur leurs radios à eux, mais c'est arrivé au point où l'on ne trouve plus les disques originaux avant leurs traductions. From Me To You par Claude François, c'est vraiment pathétique à côté de l'original par les Beatles. Avant lui, Johnny Hallyday et Richard Anthony aussi pillaient sans scrupule les hit-parades anglais et américains. Maintenant, ça devient systématique. A cause de Salut les Copains, nombreux sont ceux qui entendent d'abord le plagiat et croient même qu'il s'agit de créations cent pour cent françaises.

 

Quand le disque est annoncé, on ne prend même pas la peine de signaler que c'est une copie. Souvent le présentateur va même jusqu'à prétendre : C'est le nouveau disque de... Johnny, Claude François ou un autre . Reprendre dans une autre langue une chanson plus ou moins oubliée ou dont le succès a été limité, n'a rien de mal en soi. Une nouvelle version peut même apporter quelque chose de plus. Le meilleur exemple était le It's Now Or Never d'Elvis qui était SA version de 0 Sole Mio, une vieille chanson italienne. Mais là, c'est tout à fait différent. Ces copieurs se bornent, la plupart du temps, à traduire plus ou moins les paroles. Ils calquent le rythme, l'arrangement et l'accompagnement sur l'original et ils le font quand celui-ci devient un succès ailleurs.

 

Trop facile. Et intolérable. Lorsqu'on traduit un livre, on ne remplace pas le nom de l'auteur par celui du traducteur. Et d'abord : pourquoi traduire ces chansons ? La musique et le feeling suffisent pour les apprécier, non ? Révolté, j'envoie une longue lettre au courrier des lecteurs de Juke Box pour dénoncer ce scandale.

 

DISCO REVUE

Coeur de rock : Surprise ! En France, vient d'apparaître un nouveau magazine qui se positionne comme «anti-yéyé». Ça alors ! Les Français commenceraient-ils enfin à se réveiller ? D'après Disco Revue, il est plus que temps. Fort bien. Si ce magazine doit se développer et puisqu'on le trouve chez nous, il aura peut-être besoin d'un correspondant belge. J'envoie donc au responsable, un certain Jean-Claude Berthon, une lettre offrant mes services à laquelle je joins ce que je considère comme mon premier véritable article : une copieuse analyse des popularités comparées d'Elvis et des Beatles. Pas de réponse.

 

On aurait au moins pu avoir la politesse de m'écrire d'aller me faire voir. Décidément, ces Français ne sont pas des gens fiables. Pour que toute cette prose n'ait pas été écrite pour rien, je me résous à l'envoyer à Juke Box qui, évidemment, la passe dans le courrier sous ma signature qui devient Pierrot, fan incommensurable d'Elvis et des Beatle. Le gag : quelques jours plus tard sort un nouveau numéro de Disco Revue avec Buddy Holly en couverture.

 

Mon article s'y étale sur TROIS PAGES ! Avec grandes photos en couleurs et annonce en couverture. Là, il est signé de mon vrai nom, Pierre Vermandel. Je n'en reviens pas. Jamais je n'aurais osé rêver qu'on puisse trouver mon texte assez bon pour lui donner une telle importance. Je délire. Je me demande même si... Non. Il ne faut pas rêver : gagner sa vie en écrivant des articles sur le rock ? Un peu de réalisme, voyons. Enfin, je réécris tout de même à Disco Revue pour les remercier et leur demander ce qui les intéresserait encore. Mais, à nouveau, aucune réponse.

PÉLÉRINAGE À LONDRES

Piero et sa bande de copains ont furieusement envie de découvrir le swinging London avec ses quartiers typiques, aux rues déjà mythiques, où l'on peut trouver n'importe quel vinyles, LP, posters, accoutrements et gadgets divers. De plus, Hard day's night vient de sortir sur les écrans britanniques. Ils veulent être parmi les premiers spectateurs belges à découvrir le film des Beatles. Ce qu'ils feront à peine débarqués.

Le lendemain de leur arrivée, le temps de faire du shopping, d'aller visiter Big Ben, la Tamise, Soho, Piccadilly Circus, Carnaby's Street, boire un verre dans une boite s'appelle The Discotheque et c'est déjà l'heure de reprendre le ferry.

C'est décidé ! La prochaine fois, ils reviendront pour visiter le Marquee, le Speakeasy et d'autres clubs où passent des musiciens.

 

Piero a décidé les plus fervents des membres du Club des Aigles à l'accompagner à Londres.

 

A peine débarqués de Victoria Station, comme dans un rêve, nous voyons apparaître les Beatles. Leur nom s'étale en lettres géantes sur la façade d'un cinéma près de la gare. C'est l'enchantement.

 

Jean-Pierre Pauwen alias Zorbec

Piero

LE BRASSEUR

Coeur de rock : Il y a du changement au Brasseur. On y a construit une scène plus ou moins convenable et j'y retrouve les Maudits qui ont aussi changé… de nom, eux. Faut maintenant les appeler les Night Rockers. C'est vrai qu'un nom en anglais, ça fait tout de suite plus classe. La clientèle « adulte » de l'endroit décroît de week-end en week-end. Les jeunes sont de plus en plus nombreux et quand un groupe « chauffe », l'ambiance le fait aussi. À défaut de pouvoir danser, car l'accès est autorisé aux moins de dix-huit ans, certaines filles pratiquent même le  hand-jive. C'est une amusante succession de mouvements dénués de sens qu'on fait avec les mains et les bras. Sur le rythme.

 

Monsieur Demortier, patron de l'établissement, semble ravi. Il a décidé de s'occuper des Night Rockers comme manager. Il est question que, comme l'ont fait les Beatles, ils fassent une tournée des nombreux clubs allemands, dont le plus célèbre est le fameux Star Club à Hambourg.

Le nouveau public du Brasseur

NIGHT ROCKERS - PARTISANS - STROFF - JAY FIVE

Partisans Friswa

Les Partisans avec Friswa

 

Quand les Night Rockers vont se produire ailleurs, on peut découvrir d'autres groupes.

 

C'est ainsi que Buddy Brent, un rocker bien portant, spécialisé en Buddy Holly, les Sparks (*), surtout remarquable par leur batteur  Jacky Mauer, Kris Doogan, le type même du chanteur séduisant, les Partisans, mené par Friswa chanteur-guitariste et surtout les Jay Five, deviennent des habitués de l'endroit. ( * rien à voir avec le légendaire groupe de Ron et Russell Mael).

 

Un mot sur les Jay Five Un nom plutôt : Stroff. C'est le chanteur. Pour l'état civil Freddy Denis. Pour la scène : Denny Vinson. Mais tout le monde l'appelle tout de même Stroff. Il paraît que c'est parce qu'un jour à la fin d'une chanson, il a engueulé ses accompagnateurs en criant : Mais il manque une strophe !

 

 

C'est un petit mec maigre et nerveux, aux yeux de cocker ou de chien battu. Il semble avoir le visage fripé et son nez, pas vraiment court, ajoute encore à sa physionomie qui n'est pas exactement celle d'un Adonis. Malgré son jeune âge, on dirait que ce gars a beaucoup vécu et ne l'a pas toujours eu rose. Du coup, il intrigue plus que les chanteurs qui ont un côté bellâtre.

 

 

Et quand il chante sa dégaine vulnérable lui sert de la même façon que Gene Vincent. Le côté fragile de son personnage lui vaut d'amblée le respect. Sa prestation scénique est fonction. Il s'accroche aux guitaristes, les tire d'un côté à l'autre de la scène, tombe à genoux, prie, meurt, ressuscite… Depuis Clark Richard, qui semble d'ailleurs avoir disparu de la circulation, on n'avait plus vu showman aussi enthousiasmant chez nous.

 

(Photo : Stroff)

 

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FESTIVAL DE LA GUITARE D'OR

À CINEY - LES ANIMALS

 

11 Juillet 1965

 

Coeur de rock : Sorti en octobre 1964, The house of the rising sun devient numéro 1 en Belgique. Les Animals réussissent ce que les Beatles n'ont pas pu faire. Battre les yéyés. Leur disque a eu un succès tellement rapide que son plagiat par Johnny Hallyday,  Le pénitencier, arrive trop tard. [...]

 

C'est gigantesque ! Un de ces disques qui coupent le souffle dès les premières mesures. Un coup de génie. Une révélation. Un succès mondial instantané. Les Animals sont arrivés et le rock a atteint un nouveau degré d'intensité. Leur  House Of The Rising Sun devient le catalyseur de tous nos espoirs. Les Animals, qui tiennent ce nom du fait qu'ils jouent, parait-il, « comme des bêtes » représentent en même temps une approche différente du rock par rapport au style beat des groupes de Liverpool : plus dure, plus rythm and blues.

 

Eric Burdon and The Animals

 

11 juillet 1965 - Festival de la guitare d'or dans la localité de Ciney. À la base, c'est un grand concours pour groupes amateurs, qui dure toute une journée.

Mais il y a des vedettes confirmées en soirée et cette fois, ce sont les Animals  ! Nous n'en sommes pas revenus lorsque nous avons appris ça. [...] Leur succès phénoménal a dû inspirer un organisateur plus malin que les autres.

 

Apparemment, il a même trouvé un truc pour obtenir le fameux permis de travail. En Angleterre, les Animals arrivent juste après les Beatles et les Stones en degré de popularité. C'est la première fois qu'un groupe de cette importance se produit chez nous. C'est un jour quasiment historique.

 

Moment d'angoisse : un présentateur embarassé vient annoncer qu'il y a eu un contrôle et que, sans permis de travail – Aïe ! C'est ce que je craignais – les Animals ne peuvent pas se produire.

Mais… Les membres du groupe ne veulent pas décevoir le public. Ils joueront donc tout de même. - Ouf ! - Sans être payés. C'est canon un max !

 

Mais j'ai tout de même encore une légère appréhension. Alan Price, leur organiste, en grande partie responsable du  sound  des Animals les a quittés récemment. Il est remplacé par un certain Dave Rowberry. Est-il aussi bon ?

 

Enfin, les voilà qui entrent en scène, salués par des acclamations. Très élégants dans leurs costumes gris à la coupe trés moderne, ils ont des chemises d'un jaune assez chaud et des cravates noires.

 

Ils attaquent avec Boom Boom. Eric Burdon, leur fantastique chanteur, est vraiment petit. En chantant, il a l'air de se pendre au micro qui est trop haut pour lui. Mais il a une voix de géant! Puissante, passionnée. Il vit vraiment ses chansons avec une intensité sans précédent. Je suppose que c'est cela, avoir de la  soul, comme j'ai remarqué qu'on commence à dire en Angleterre. Le groupe se déchaine dans quelques rocks vigoureux. Chas Chandler, le bassiste à l'air de s'amuser beaucoup et le batteur John Steel martèle ses caisses avec précision.

 

Les Animals - Ciney - Nuit du 11 juillet 1965

 

Eric attrape le guitariste Hilton Valentine par la peau du dos. Le gars en tombe à genoux. Sous les encouragements du public, le chanteur entreprend alors de traîner son copain d'un bout a l'autre de la scène. Ce n'est pas tout : voilà qu'il prend son pied. Oui ! Des deux mains. Burdon enlève une de ses chaussures. S'aidant de celle-ci comme Kroutchev à l'ONU ; il se met à marquer le rythme sur son pied de micro. C'est le délire. Les Animals jouent un  Talkin' About You  frénétique sur un tempo irrésistible et… Mais oui : le morceau se transforme proressivement en une reprise du  Shout des Isley Brothers. Je suis debout sur la table. Je saute. Je crie. Je tremble. Je hurle. Je ris. Je pleure… Et alors éclate The House Of The Rising Sun avec toute la magnificence d'un hymne triomphal. Je peux mourir. Aujourd'hui je viens de voir le groupe qui, sur scène, est le meilleur du monde !

 

 

QUAND LES AIGLES S'ATTAQUENT À

CLAUDE FRANÇOIS

IV° ÉDITION DU FESTIVAL DE CHÂTELET

(12 septembre 1965)

 

Lorsque Piero apprend que les Animals seront de retour en Belgique en septembre au festival de Châtelet (quatrième édition), il laisse exploser sa joie. Il compte bien amener tous ses copains pour qu'ils puissent, à leur tour, découvrir le groupe le plus populaire après les Rolling Stones.

 

Mais en découvrant l'affiche du programme complet des deux jours, il constate que les Animals passeront le samedi, après un concours de groupes amateurs… alors que Claude François avec son nom affiché en lettres géantes sera accueilli en toute grande vedette, le dimanche.

 

Pour notre bouillant leader de la cause du rock made in England, c'en est trop. Et ce n'est pas fini ! Les jours suivants, il entend à la radio les annonces répétées du programme du festival . Le présentateur évoque Guy Mardel, Monty, Marc Aryan, Michele Torr et Claudia Sylva et oublie de citer les Animals. L'humiliation est à son comble.

 

 

Piero décide de monter une petite opération commando pour « venger » l'affront médiatique fait aux Animals.

 

 

Le dimanche , avec quelques copains, il se présente parmi les premiers devant l'entrée du festival, muni d'un panneau bricolé à la hâte et qui indique : CONTRE LES YÉYÉS, LES ROCKERS AVEC NOUS. Très vite, ils seront rejoints par une cinquantaine d'anti yéyés. Les « Belgian Rockers » sont nés.

 

Extrait de Cœur de Rock :  Aussi, quand Guy Mardel se pointe sur le podium, la première chose qu'il aperçoit au milieu des spectateurs c'est une énorme banderole VA FAIRE CACA. Sous les huées, il arrive tout de même à chanter quelque chose avant de battre prudemment en retraite.

Par politesse envers les dames peut-être, Christian se contentera de brandir un slogan plus modéré,  TA GUEULE !, devant une Michèle Torr qui s'en tire, sinon, avec l'écrasement d'une tomate trop mûre sur sa jolie robe.

Mais tout cela n'est que broutilles. Le moment décisif arrive. C'est au tour de Claude François !

 

Ce sera assurément le pire cauchemar de sa vie d'artiste. Chahuté, hué, il essaie en vain d'esquisser plusieurs volées de tomates qui finissent par atterrir sur son beau costume. Il s'enfuit du podium en hurlant sa rage et en maudissant la Belgique.

 

Le lendemain, dans les quotidiens, il ne sera question que de cet incident mémorable à Châtelet. Claude François s'y serait fait jeter des trucs dessus et on mentionne la présence d'une bande de voyous appelés les Belgian Rockers !

 

Cette manifestation musclée de « la bande à Piero » restera gravée dans toutes les mémoires des organisateurs de spectacle de l'époque. Et surtout de Monsieur Wannyn qui aura du mal à s'en remettre. Encore aujourd'hui, lorsqu'on évoque Châtelet, l'épisode des tomates et de Claude François revient encore et encore.

 

LE GRENIER : NOUVEAU REPAIRE DES ROCKERS

Burt Blanca

Burt Blanca au Grenier - janvier 1966

 

Un beau jour, Christian Mertens et Jean-Pierre Pauwen, tous les deux membres actifs du Club des Aigles, discutent avec Georges Cornelis, le patron du Grenier. Ce dernier verrait d'un très bon œil que sa boite lui rapporte quelques sous durant certaines après-midis creuses. En effet son établissement ne tourne que la nuit. Pourquoi ne pas organiser des après-midis rock ? Bien sûr, il serait interdit de danser.

 

Mais après tout, les fans d'Elvis, ne viennent pas pour ça. Aussitôt mis au courant, Piero Kenroll décide d'aller visiter les lieux. Pour atteindre les combles, il faut baisser la tête pour ne pas se cogner aux poutres. Une fois ce cap franchi, la pièce s'élargit. Ce qui permet de rester debout normalement. L'espace est suffisamment grand que pour accueillir une bonne centaine de jeunes. Quant au podium, il fait à peu près huit à dix mètres carrés. De commun accord, Monsieur Cornelis et le Club des Aigles décident de tenter une première expérience en organisant un concert avec les Partisans. Date fixée : le 16 octobre 1965.

 

LIRE LA SUITE : PIERO ET LE CLUB DES AIGLES AU GRENIER

 

D'après Coeur de Rock (Edition Apach)

et d'une interview avec Piero Kenroll

Dossier réalisé par J.Jième

et achevé le 31 octobre 2009

 

 

- La venue des Kinks en Belgique (1966)

- Le Cheetah Club : La nouvelle antre du rock en Belgique (1967-1969)

- Piero et le Jenghiz Khan

 

JN.Coghe-Piero Kenroll-Marc Ysaye

© Patfraca

BIBLIOGRAPHIE

COEUR DE ROCK

 

ROCK AND ROLL DUO

(2014 -Éditions Lamiroy)