ROCK BELGE / ALBUM SOUVENIRS
THE SYLVESTER'S TEAM (1965-1968)
Biographie officielle réalisée par Jean Jième à partir d'interviews
avec Sylvain Vanholme - 11 février 2009
Sylvesters' Team au Vénus à Ostende - Gégé, Jean-Marc, Freddy et Sylvain -1965
APRES LES SEABIRDS, SYLVAIN VANHOLME ENTRE DANS UNE PHASE DE TRANSITION.
LES ENFANTS TERRIBLES (JUILLET 1963 - MAI 1964)
Les Enfants Terribles : André Geirnaert, Francis Jouret, Jiem, Sylvain Vanholme,
Jean-Pierre Dekelver au Clan à La Panne – été 1963
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Sylvain Vanholme : Quand l'été 63, est arrivé, je me suis retrouvé sans boulot. C'est alors que le hasard a voulu que le bassiste des Enfants Terribles, Jean-Pierre Dekelver, vienne me trouver. Il jouait avec son orchestre à La Panne dans un gros dancing qui s'appelait Le Clan.
Il m'a expliqué que le soliste, Paul Deneumoustier les avait plantés. Jean-Pierre m'a proposé de le remplacer au pied levé pour le reste de la saison jusque fin août. Tu connais bien l'histoire, puisque tu étais le chanteur des Enfants Terribles à l'époque.
Jean Jième : Et comment ! Tu nous as vachement impressionnés. Lorsque tu es arrivé à la première répétition, je me suis demandé combien de temps il te faudrait pour assimiler la centaine des morceaux de notre répertoire.
Et bien, en à peine deux après-midis, tu as réglé le problème. Ce qui nous a permis de ne pas faire faux bond à notre public. On a pu jouer le même soir au Clan.
Au grand soulagement du patron de la boite qui craignait la défection de sa clientèle. A l'époque, un orchestre amenait davantage de monde qu'un juke-box. Ceci dit, tu nous as apporté un punch et une technique qui dépassait ce qu'on avait connu auparavant.
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Jiem et Les Enfants Terribles au Clapotis à la Panne - été 63
Sylvain Vanholme : Comme tu chantais pas mal de Cliff Richard en VO ou en version française à la manière de Dick Rivers, c'était plutôt cool pour moi. En fait je connaissais la majorité de tous les morceaux originaux issus du répertoire anglo-américain de l'époque.
Et puis le groupe puisait aussi dans les instrumentaux des Shadows que j'avais déjà interprétés des centaines de fois.
Jean Jième : Après la saison, en septembre, j'ai fait le choix de quitter les Enfants Terribles pour entrer à l'INSAS et me consacrer « sérieusement » à des études de cinéma.
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Jean-Marc Destrebecq, Sylvain Vanholme, André Geirnaert et Jean-Pierre Dekelver - 1964
Les Enfants Terribles dans un dancing à Westende
Sylvain Vanholme : Quand tu es parti, j'ai proposé à l'orchestre de remanier le répertoire. C'était le début de la fin pour les Shadows et la période yéyé commençait à battre de l'aile. Les Beatles étaient en train de tout révolutionner. Francis Jouret, le guitariste rythmique a eu l'opportunité de faire partie du trio Les Dollars avec Paul Deneumoustier, votre ancien soliste et John Lauwers.
Alors j'ai fais appel à mon copain Jean-Marc Destrebecq qui a remplacé Francis au pied levé. On a travaillé dur pour élaborer un tout nouveau répertoire basé sur la plupart des titres des premiers albums des Beatles. A Pâques, on est parti deux semaines à Westende pour se rôder chez Jean Sello qui tenait un établissement sur la digue. J'en garde un excellent souvenir. Avec des morceaux comme She loves you, I saw her standing there, Can't buy me love, on a fait un malheur.
Début 64, le batteur André Geirnaert a dû, à son tour, accomplir ses obligations militaires, ce qui a entraîné la fin des Enfants Terribles.
DERNIÈRE SAISON AVEC LES SEABIRDS
Sylvain Vanholme : J'étais déjà à une sorte de croisée des chemins. D'une part, j'étais arrivé à saturation avec mes études universitaires. Les sciences économiques et politiques ne me disaient vraiment plus rien du tout. Ce qui ne m'a pas empêché de tenir le coup jusque juin. D'autre part, sur le plan musical, 64 était une période incroyablement féconde. Stones, Beatles, Kinks, Herman Hermits, Hollies explosaient partout. C'était la folie. Je ne pouvais me résoudre à laisser passer cette vague déferlante de créativité.
Jean Jième : C'est ainsi qu'on te retrouve à nouveau dans les Seabirds au cours de la saison estivale 1964 ?
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De dos : Sylvain Vanholme, Benny De Wilde, Jean-Marc Destrebecq (adossé contre un pylone), Michel Lanoye, basse et Smolly au drums. Vénus -Ostende - 1964
Sylvain Vanholme : Durant l'été 64, Benny De Wilde m'a recontacté pour me dire qu'il comptait reprendre du service au Vénus. Il était parvenu à convaincre Smolly, un très bon batteur (qui avait gagné le concours TV Ontdek de ster avec Little B, le célèbre solo de batterie des Shadows).
Ainsi que mon ex-beau frère, Michel Lanoye qui jouait de la basse. J'ai dit oui tout de suite.
C'est durant cet été que Jean-Marc Destrebecq est venu régulièrement nous voir jouer au Vénus. Comme je savais qu'il tâtait de l'harmonica, je l'ai invité plusieurs fois sur scène pour faire une jam.
En septembre, on a prolongé notre séjour à Ostende en donnant plusieurs galas dans un grand établissement qui se trouvait en face du Venus. Mais dès octobre, une fois de plus sans boulot. J'ai vécu avec presque rien. |
LES SIX BABS ( NOVEMBRE 1964 - JUIN 1965)
Sylvain Vanholme : J'ai donc connu une sacrée période de disette en cet automne 64. Je me suis retrouvé à Bruxelles, rue Jules Van Praet, seul, dans une modeste chambre plutôt triste sous les combles, au dessus du café Le Nœud, en face de la Bourse.
Souvent, à l'heure de midi, j'allais porter mes affaires à la wasserette, tenue par la maman de Jacky Timmermans, l'ex chanteur des Croque-morts. Et, après, elle m'invitait à partager le repas journalièrement contre un modeste somme d'argent .
C'est ainsi que Jacky m'a fait rencontrer le reste de ses copains musiciens, dont Garcia Moralès, Ralph Benatar, Gégé et John Sluzny. A la suite des Croque-morts, ils avaient fondé les Babs et les Babettes. Puis, ils m'ont proposé d'entrer dans le groupe. Ils se sont séparés de leurs danseuses et c'est ainsi que le nom a évolué en The Six Babs. http://belgarock.blogspot.com/2008/09/les-croque-morts-les-babs-et-les.html
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La période était difficile. Je venais de m'inscrire dans une agence d'intérim qui ne me trouvait pas de boulot. J'essayais de tenir le coup en vivant exclusivement des maigres cachets qu'on glanait ça et là en assurant les bals de week-end. C'était la galère.
Gégé, qui travaillait comme employé dans une Mutuelle, m'a fait savoir qu'on cherchait quelqu'un dans un service annexe. Je me suis présenté et fait engager. Ce job tombait à pic car 10 février 1965, je passais devant Monsieur le Maire. Il fallait bien faire bouillir la marmite.
Puis arrive l'été. Les Six Babs décrochent un engagement de trois mois au Club Med à Corfou. Je dois choisir : ou je les accompagne et je délaisse ma jeune épouse ou je prends mes responsabilités en préservant mon ménage ? Je vois encore la tête de Garcia lorsque je lui ai annoncé que je ne partirais pas avec eux. Il a fait une sacrée grimace ! Gégé s'est retrouvé dans la même situation que moi. Il était fiancé à l'époque et il a préféré renoncer à la tournée lui-aussi.
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THE SYLVESTER'S TEAM (JUIN 1965 - DÉBUT 1968)
Un quatuor rock de choc - une bande de joyeux drilles
Jean Jième : Au fond, c'est grâce à ce revers de fortune et à la frustration qui en a découlé que tu as décidé de réagir en créant ton propre groupe ? Tu ne te voyais pas passer l'été à Bruxelles ?
Sylvain Vanholme : On peut voir les choses comme ça, en effet ! Ca faisait des années que j'assurais la saison sur la côte, pourquoi ne pas recontacter le patron du Venus à Ostende ? Ce que j'ai fait. Celui-ci m'a accueilli à bras ouverts. Restait à former un orchestre en deux semaines.
Jean-Marc Destrebecq et Gégé Heymbeek étaient disponibles. De plus, Gégé disposait d'une cave dans laquelle les Six Babs avaient l'habitude de répéter. Il nous fallait un batteur. On l'a trouvé au Golf du Loup, l'établissement de Julien, alias James Curtis, à deux doigts de la Grand Place. C'était Freddy Nieuland, il avait travaillé dans les Spiders et venait de quitter André Brasseur. Ensuite tout s'est enchaîné à vive allure. On a répété comme des malades pour être prêts à temps.
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Freddy Nieuland aux drums
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FREDDY
Jean Jième : Qu'as-tu pensé de Freddy, lorsque tu as fait sa connaissance pour la première fois ?
Sylvain Vanholme : Il m'a tout de suite étonné. Il s'exprimait déjà avec énormément de bagout.
C'est le plus grand bavard que j'ai jamais rencontré. Il avait toujours son mot à dire à propos de tout et de rien.
Il apportait une dynamique certaine au groupe. Il était serviable comme pas deux ! Il était capable de se lever au beau milieu de la nuit pour te dépanner, si tu l'appelais.
Ceci dit, c'était surtout un formidable batteur doté d'une voix superbe.
Il pouvait se permettre de s'envoler dans les aigus avec une facilité déconcertante.
J'avais besoin de quelqu'un comme lui pour faire concurrence aux groupes anglais qui chantaient à plusieurs voix et dans des tessitures assez hautes.
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ENTRAîNEMENT NON STOP AU VENUS À OSTENDE
Jean Jième : Ainsi, tu t'es retrouvé pour la nième fois sur ton terrain de prédilection à Ostende au Venus ?
Sylvain Vanholme : Pour un groupe, le fait de jouer durant huit à dix semaines, non stop dans une boite est un écolage formidable. On en a eu un bel exemple avec les Beatles à Hambourg. A Ostende, en journée, on passait notre temps à répéter, à ajouter de nouveaux titres à notre répertoire et à jouer le soir ainsi qu'une bonne partie de la nuit.
Le public était principalement constitué de jeunes d'origine anglaise. Filles et garçons nous demandaient d'interpréter les derniers tubes qui venaient de sortir chez eux. Mais comme nous ne les connaissions pas tous, ils nous apportaient leurs 45 tours que nous écoutions ensemble. On passait et repassait le disque des dizaines de fois, ce qui me permettait de trouver les accords de guitare tandis que les copines nous transcrivaient les paroles anglaises. Ce qui n'était pas toujours évident, même pour elles, vu la mauvaise diction de certains chanteurs.
LE VENUS, UNE PÉRIODE EXTRAVAGANTE
Sylvain, Freddy, le patron du Venus et sa femme - Gégé, une serveuse et Freddy N.
Juillet et août 1965, reste marqué dans mon esprit, comme une période heureuse grâce à la cohésion du groupe et à la bonne humeur qui régnait. A ce propos, je me rappelle du premier jour, où nous sommes arrivés à Ostende, dans l'après-midi. On déballe le matériel dans la cave du Venus. On fait les balances son, micros et instruments, puis on va faire un tour en ville. Mais Freddy préfère aller piquer une pointe dans les dunes. Le soir, on est prêt à monter sur scène. Pas de Freddy !
On est vachement inquiet et on se demande ce qui a bien pu lui arriver. Enfin, il apparaît. Cuit et recuit, rouge comme une écrevisse, méconnaissable ! Il nous explique qu'il s'est endormi dans les dunes. Pourtant, malgré la douleur, le frottement insupportable de ses vêtements sur la peau, il a eu le courage de grimper sur le podium. Il a pris ses baguettes et a joué toute la soirée comme si de rien n'était. Toute la saison, on s'est taillé une belle part de succès. C'était le bon vieux temps.
Jean Jième : Jean-Marc Destrebecq m'a raconté qu'au cours de vos soirées au Venus, vous enchaîniez gag sur gag et que vous n'étiez pas toujours très sages.
Sylvain Vanholme : Ha bon !
Jean Jième : Je te raconte ce que m'a dit Jean-Marc Destrebecq ?
Sylvain Vanholme : Vas-y toujours.
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SUN, SEX AND SUN
Jean Marc Destrebecq : La scène était plongée dans le noir complet mis à part un ou deux néons bleus fluo. Dans l'après-midi ; j'avais subrepticement enduit quelques unes des baguettes de Freddy avec du phosphore. Ce qui donnait comme résultat que lorsqu'il effectuait son solo de batterie on ne voyait plus que les baguettes qui s'agitaient dans tous les sens sens. Freddy ne se rendait compte de rien et il jouait avec tant d'entrain qu'il envoyait dans le public des projections de phosphore. Ca a déclenché le délire dans la salle. On peut dire que j'étais en avance de trente ans sur le Blue Man Group. J'ai une autre anecdote à propos du Venus que j'intitulerais : A nous les petites Anglaises.
Beaucoup de ces jeunes touristes d'Outre Manche étaient en manque, je ne te dis que cela ! Un soir, mais je ne me souviens plus qui a commencé ? Freddy ou moi ? On s'est mis à flirter au milieu du club, appuyé chacun contre une colonne. Puis on s'est échangé notre partenaire, une fois, deux fois, six fois. Ensuite on en a fait profiter d'autres garçons. Finalement tout le club s'est mis à participer. Rien de bien méchant puisque on ne faisait que flirter. Mais tout de même ! Quelle partie de rigolade! Qui a bien failli finir en hystérie !
Un autre soir, nous sympathisions avec des musiciens anglais qui étaient venus nous voir jouer. Nous n'avions aucune idée de qui ils étaient. En fin de soirée, on les rejoints dans la boite, qui se trouvait au-dessus du Venus, tenue par Freddy Coussaert, qui par la suite hébergera Marvin Gaye. Après bien des bières, une discussion animée s'engage entre Gégé et Chas, bassiste comme lui. L'un et l'autre prétendant avoir plus de rythme que l'autre. Le hic, c'est qu'il s'agissait d'Eric Burdon et des Animals. Et que le bassiste, Chas Chandler (qui deviendra plus tard le manager de Jimi Hendrix), avait un mètre nonante et quelques. La discussion a dégénéré et a failli se terminer en bagarre générale. Le lendemain, ils repartaient pour Londres pour enregistrer We gotta get out of this place ! |
GOUDEN MICRO – 11 SEPTEMBRE 1965 - ANVERS
Article paru le 14 septembre 1965 dans Het Laatste Nieuws
La grande finale du Gouden Micro à Anvers
Sylvester's Team s'était fait vivement remarquer lors du huitième et dernier éliminatoire à Eeklo par une prestation terriblement originale. On ne trompe pas la vérité en prétendant que Sylvester's Team étaient les meilleurs showmen de la finale.
Non seulement pour la vue mais aussi pour l'ouïe, nous avons été étonnés car ce qu'ils faisaient était nouveau. Francis Bay considère ces musiciens comme de très hautes valeurs.
Jean Jième : A peine rentré de la côte, vous voilà en compétition dans le cadre des éliminatoires du Gouden Micro ?
Sylvain Vanholme : C'était une belle opportunité pour nous, tout jeune groupe qui avions à peine deux mois d'existence. Le Micro d'Or ou Gouden Micro était une manifestation européenne de groupes de rock organisée à Anvers, sous le patronage de Het Laatste Nieuws.
Après avoir travaillé tout l'été comme des dingues au Venus, on était rôdé comme des fous.
On s'est senti prêt à en découdre avec les autres formations et à entrer en compétition avec elles.
A ce sujet j'ai une anecdote à raconter. Quand on a joué devant cet énorme auditoire, on était tellement chaud que j'ai fais un truc complètement dingue, que je ne n'ai plus jamais recommencé depuis.
A un moment donné, Jean-Marc se lance dans un solo d'harmonica.
Je ne sais pas ce qui me prend, mais sans doute poussé par l'ambiance, je m'accroupis derrière lui, glisse ma tête entre ses jambes et me mets à le soulever avec mes épaules, tout en essayant de me redresser tant bien que mal.
Il faut savoir que Jean-Marc était plus grand que moi et pesait surtout très lourd. Je me demande comment j'ai fait pour porter une charge pareille !
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Jean-Marc s'est laissé faire comme si ça faisait partie du show et il a continué à jouer de son instrument, tandis que moi j'enchaînais ensuite à la guitare. On a connu une ovation extraordinaire.
Je ne l'oublierai jamais. Mais moi j'avais le dos en compote. |
Article paru dans le magazine Kwik (N° 178) 17-23 septembre 1965 - traduit en français)
A propos du Sylvester's Team : A-t-on découvert de nouveaux talents, dimanche dernier, au Palais des Sports ? Le Gouden Micro 1965 donnera-t-il à la Belgique une équipe qui coupera les cheveux aux Beatles ? Qui sait, nous dit Francis Bay : ce sont quatre types bizarres dans un costume de croque-mort. Ils ont beaucoup de cheveux à revendre aussi bien sur la tête que sur le menton. On dirait des mauvais garçons mais ils ont du talent et ils ne sont pas bêtes. Ils n'ont pas gagné mais ça s'est passé de justesse. Si leur travail avait été aussi fini et soigné que celui des Paramounts et des Mystérieux alors le résultat aurait pu être tout autre. En ce qui concerne leurs qualités artistiques et leur originalité, ces quatre «phénomènes » ont laissé une forte impression sur Francis Bay et Freddy Rottier.
Jean Jième : Quand tu relis ce que les « critiques » de l'époque radotaient sur votre compte, quelle est ta réaction ?
Sylvain Vanholme : Ca résume bien l'esprit de l'époque. Les animateurs de radio, certains agents de spectacle, firmes de disques, journalistes et surtout les musiciens professionnels d'un certain âge étaient dépassés. Ils avaient du mal à suivre le rythme, à encaisser aussi rapidement autant de bouleversements tant sur le plan musical que sur celui de la mode ou même des mœurs.A peine avaient-ils digéré le phénomène Elvis avec l'arrivée du rock, qu'ils devaient s'adapter aux Beatles, puis aux Stones, considérés comme particulièrement agressifs, puis à la soudaine et considérable expansion de la beat musique anglaise.
En même temps ils devaient accepter la mode des longs tifs pour les mecs puis des mini jupes pour les filles. Ils ont sans doute pensé que ça ne durerait pas, que ce n'était qu'une mode excentrique et donc passagère. Ils se sont bien trompés. En fait, ils n'étaient pas en phase avec leur temps.
Tout ceci se vérifie parfaitement dans les résultats du classement effectué par le jury du Gouden Micro. Comme nous avions le choix du répertoire, nous avions décidé de jouer du Bo Didley et pas les derniers tubes à la mode du juke-box, comme l'ont fait les Paramounts. De plus notre jeu de scène était musclé, voire provocateur. On était à des années lumières des trois petits pas à gauche, puis à droite des Mystérieux, hérités des Shadows. Je pense à notamment à Freddy qui tapait le rythme comme un endiablé avec des maracas sur ses toms. Il est certain que nous avons dérangé et même provoqué les membres du jury, constitués principalement de « vieux » musiciens. Allez, disons « classiques » pour ne pas les offusquer.
Jean Jième : En résumé, sur le plan de l'originalité, le Sylvester's Team méritait la première place. Mais vu le contexte de l'époque, le jury ne pouvait pas vous l'octroyer ?
Sylvain Vanholme : C'est ça ! Mais pour nous ça n'avait aucune importance. L'essentiel résidait dans le fait de participer à ce concours et ainsi de nous faire connaître. Ceci dit, malgré notre troisième prix, nous avons tout de même gagné une petite bagnole. |
Résultats et Palmarès du grand concours du Gouden Micro.
Premiers, les Paramounts (Gand), seconds, Les Mystérieux (Bruxelles), troisièmes, les Sylvester's Team (Bruxelles), quatrièmes, les Navarrons (Anvers) et cinquièmes, les Twenties ( Merchtem).
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Jean-Marc Destrebecq : C'était un break Simca. On a rien trouvé de mieux que le revendre aussitôt pour s'acheter du nouveau matos. Si bien que lorsqu'on est parti jouer à Paris, on s'est retrouvé entassé avec le matériel dans une Renault 4 qui, la pauvre raclait le sol dès que la route était un peu cabossée.
Trois cent kilomètres interminables sur une RN à deux bandes. Une véritable expédition ! Seul Gégé était à l'aise dans sa Porsche d'occase. Et, au retour, ce qui devait arriver, arriva. Son bolide a rendu l'âme.
Et tandis que Gégé l'abandonnait dans un garage avec retour en train, notre « minable » mais vaillante R4 ne nous a pas trahi et nous a mené à bon port jusqu'à Bruxelles.
(photo de la Simca) |
POINT D'ORGUE DE LA COMPETITION DU MICRO D'OR – QUATRE GARCONS DE CHEZ NOUS : LE SYLVESTER'S TEAM …
Jean Jième : Lorsqu'on lit l'article qu'avait rédigé le critique de Het Laatste Nieuws (18 octobre) on se dit que ses paroles étaient prémonitoires. Car, le succès international, tu vas finir par le connaître deux ans plus tard avec le Wallace Collection.
Après les deux morceaux interprétés par le Sylvester's Team, notre avis n'a pas varié par rapport à celui que nous émettions lors des éliminatoires et de la finale. S'ils pouvaient compter sur un manager compétent, ils connaîtraient un très grand succès même hors de nos frontières. De plus, leurs compositions sont d'une telle qualité qu'elles semblent inapprochables par les autres beat groups de notre pays. Ils ont une classe internationale. Ce serait dommage si l'on devait perdre de tels talents.
Sylvain Vanholme : C'était mon but. Je me suis toujours vu au-haut de l'affiche. Le drame c'est que notre style de musique n'était pas reconnu. On se tapait les avant programmes de Stéphane Steeman, de Gilbert Bécaud et autres chanteurs qui passaient en vedettes à l'Ancienne Belgique. Ce n'était pas une bonne idée. Le mélange des genre devenait contreproductif pour notre image. Cela dit, pour se faire connaître et s'imposer, il fallait bien jouer quelque part.
Quatre garçons à l'heure anglaise.
Avec le Sylvester's Team, on envisageait déjà une carrière hors du commun. On était gonflé à bloc. On n'avait peur de personne. Avant tout, on avait la volonté de sortir du lot, d'apporter quelque chose de neuf sur le plan musical. Comme je te l'ai déjà dit, durant la saison au Venus, nous étions stimulés en permanence par les visiteurs anglais qui nous incitaient à jouer les derniers tubes, ce qui nous obligeait à nous renouveler pour rester dans le coup.
J'ai très vite réalisé que si nous voulions faire la différence avec les autres groupes, il fallait sortir du piège de n'interpréter que des standards. Il fallait composer ses propres morceaux. Quitte à prendre le risque d'être incompris par le public qui continuait à réclamer du Beatles, du Kinks ou du Beach Boys. J'ai commencé à tester mes propres compositions au Venus avec le concours de Freddy. Dans le vaste répertoire de bal que nous proposions chaque soir, j'ai inséré plusieurs titres originaux que nous chantions Freddy et moi, avec nos voix de tête.
L'ANGLETERRE : MINI TRIP ET DÉCOUVERTE DE LONDRES
Devant le Marquee Club à Londres -décembre 1965
Jean Jième : Le 17 décembre 1965, tout de suite après la compétition du Gouden Micro, vous êtes parti tous ensemble pour l'Angleterre. Etais-ce pour prendre la température de l'ambiance musicale qui régnait à Londres à cette époque ? Pour acheter des fringues, des disques ?
Sylvain Vanholme : Un peu de tout cela, en effet. Mais on avait surtout besoin de se ressourcer. On s'est bien baladé dans le swinging London, on a visité Carnaby's Street, Portobello Road, on a joué aux touristes. Et le soir on a évidemment été au Temple du rock britannique, au Marquee Club. Et là, on a pris une sérieuse claque dans la gueule ! On a assisté à la prestation du groupe Syn avec le bassiste Chris Squire (fondateur du futur Yes en 68) et on s'est senti tout petit devant eux. En 1969, lors de notre passage à Londres avec le Wallace Collection, nous sommes retournés au Marquee pour assister à un concert de Yes. Magique !
Jean Jième : Qu'est ce qui t'avait le plus impressionné chez les Syn ?
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Sylvain Vanholme : Leur modernisme, leur pèche. Ils ne se contentaient plus de jouer des chansons de trois minutes. Chez eux, un morceau pouvait durer un quart d'heure avec un incroyable mélange des styles, tant instrumentaux que vocaux.
On aurait dit que chaque morceau était un petit opéra en soi. Ca ça nous a bluffé ! On a dû constater qu'il devenait indispensable de se remettre en question. Et que d'autre part, les musiciens anglais disposaient d'une solide longueur d'avance sur le reste du monde.
On a acquis une solide dose d'humilité à Londres, ce jour-là. Ceci dit, j'ai pris ma revanche, deux ans plus tard, lorsque j'y suis retourné pour y enregistrer avec le Wallace dans le plus beau studio de la City. |
COTÉ FRANÇAIS : LE GOLF DROUOT
Freddy, Sylvain et Jean-Marc au Golf Drouot ( décembre 1965)
Jean Jième : Vous vous êtes produits également au Golf Drouot. Un autre Temple du rock ? Comment avez-vous été reçu ?
Sylvain Vanholme : On est y passé plusieurs fois car le patron du Rocking Center à Bruxelles, Albert Demortier était en cheville avec Henri Leproux, son alter ego au Golf Drouot. Leproux appréciait tout particulièrement les Night Rockers ainsi que les Partisans.
Ensemble, ils pratiquaient des échanges d'orchestres. Ceci dit, le Golf n'était pas qu'un Temple yé-yé, comme certains le pensent.
Il accueillait également nombre de formations anglaises qui toutes étaient plus excellentes les unes que les autres. On s'est quelques fois retrouvés confrontés à de solides teams.
Il ne faut pas croire qu'aller jouer au Golf était une partie de plaisir ou un terrain conquis d'avance. Loin de là ! Mais à chacun de nos passages, nous avons été très appréciés. |
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Henri Leproux nous a même engagés pour une date symbolique, le réveillon du 31 décembre 1965. Ensuite, on a reçu diverses propositions d'enregistrements de disques de la part de firmes parisiennes.
Mais j'ai toujours refusé car les managers voulaient que nous chantions en français. Je ne conçois le rock qu'en anglais. Sans doute, aurais-je pu réussir brillamment à Paris et connaître une exceptionnelle carrière artistique ?
Seuls les astres connaissent la réponse. |
Jean-Marc Destrebecq : Lors de notre passage au Golf, je suis tombé sur une fan qui a insisté pour que je la rejoigne sur une péniche aménagée en appart sur la Seine. Il faisait froid et humide. J'ai mis du temps à m'endormir. Vers cinq, six heures du mat, le bateau s'est mis à fameusement tanguer si bien que je me suis retrouvé par terre. Les écluses venaient d'être rouvertes à la circulation des bateaux. On se serait cru en pleine mer tant le roulis provoqué par leur passage était impressionnant. Un sacré réveil !
LE ROCKING CENTER – LE BRASSEUR
Jean Jième : Que gardes-tu comme souvenirs de vos différents passages au Rocking Center ?
Sylvain Vanholme : Pour les nouveaux orchestres rock débutants, c'était un lieu important, je dirais même incontournable. C'était l'endroit rêvé pour montrer ce qu'ils avaient
dans le ventre et se forger une bonne réputation. Ceci dit, même les groupes plus professionnels ou qui avaient déjà sorti des 45 tours se devaient de passer régulièrement par le Brasseur. Ne fut ce que pour pas s'endormir sur ses lauriers et demeurer vigilant. Les Night Rockers et les Partisans, pour ne citer qu'eux, étaient de redoutables concurrents. Il fallait assurer.
Gégé, Freddy et Jean-Marc au Brasseur
Mais ce n'est pas tout. Albert Demortier invitait également des groupes Londoniens. Le fait de se mesurer aux Anglais nous excitait et nous poussait à redoubler d'efforts. On ne voulait ni être dépassé par eux, ni décevoir notre public.
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Une autre raison qui rend pour moi l'établissement important c'est qu'il me permettait de tester mes dernières compositions. Je guettais les réactions du public pour voir s'il appréciait ou pas. Si la chanson ne passait pas la rampe, je décidais d'accélérer le tempo ou je changeais le refrain etc… Le Rocking Center était comme le Golf Drouot une sorte de tremplin.
Jean Jième : A cette époque de ta vie, peux-tu dire que tu commences à vivre de ta musique ?
Sylvain Vanholme : Pas du tout. En 1966, je reste dans mon schéma classique. Je travaille toujours comme employé dans une Mutuelle et surtout je deviens papa pour la première fois. L'impresario Jean Martin, qui s'occupe de plus en plus de nous, nous concocte des engagements réguliers. Ce qui fait que nous sommes sur les routes et sur scène tous les week-ends. Sa conception artistique vis-à-vis des orchestres de rock se résume à ce constat : tant qu'on n'est pas une vedette, on se doit d'effectuer des prestations de cinq heures d'affilée.
Vanholme et le Sylvester's Team au Brasseur
Et comme on a besoin d'argent, on accepte. On a fait tous les thés dansants de Wallonie et tous les bals de Flandres. Et chaque lundi matin, j'ai regagné mon bureau avec une tête de déterré. Il est aussi arrivé que Martin nous envoie en France pour des avants premières de prestige ou pour participer à des concours, tels le Grand Prix de l'Acier à Paris, où on a remporté le grand prix du jury. Cette année-là, je n'ai pas vu le temps passer. On a beaucoup travaillé. Je me rappelle être passé en première partie de Dave Berry, au Palais des Sports de Gand.
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RÈGLEMENT D'ORDRE INTERIEUR
Jean Jième : J'ai découvert que, dès la création du Sylvester's Team, tu avais édicté un règlement de travail plutôt strict à l'égard de tes musiciens ?
Sylvain Vanholme : Dès que les répétitions ont commencé dans la cave de Gégé, j'ai voulu d'emblée établir un climat de travail très professionnel. Ainsi j'exigeais que chaque musicien connaisse ses textes par cœur ( ce qui n'était pas gagné d'avance avec Freddy !) J'estimais que se servir de pupitres pour éviter de faire l'effort de connaître ses textes démontrait un manque d'ambition. C'était bon pour les orchestres de bal.
De plus, j'avais pris l'habitude de rédiger un petit journal, dans lequel je notais tout : l'évaluation de chaque musicien, l'ambiance des répétitions, l'état d'esprit du groupe, le degré d'avancement. Je tirais des stencils de mes notes et les leur présentais. Il m'arrivait aussi de les informer de ce qui se passait chez nos concurrents ou dans la sphère musicale internationale.
Puis je suis passé au stade d'un règlement plus élaboré. Au début, c'était évidemment pour un peu rigoler ou pour les booster. Mais en rigolant, le fou ne dit-il pas la vérité ?
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Jean Jième : Tu as toujours été très proche de Freddy ? Malgré ses blagues incessantes et sa logorrhée galopante ?
Sylvain Vanholme : Il était fatiguant, parfois énervant. Souvent ses réparties tombaient à plat, mais on lui pardonnait tout ça, car il avait un cœur d'or. Toujours prêt à rendre service. Il aurait donné sa chemise pour ses amis. Et puis c'était aussi un echte Brusseleir et donc un sacré zwanzeur. Il connaissait plein de chansons folkloriques et il n'hésitait jamais à nous en faire profiter. Le jour ou on l'a entendu adapter Daydream en Bruxellois, Raymond Vincent n'a pas eu l'air de rigoler.
Plus tard, dans Wallace Collection, nous nous sommes tous cotisés pour qu'il se taise durant les trajets. Pour parvenir à relever le défi, il lisait du San Antonio.
Lire la suite de la biographie du Sylvester's Team
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