FREE SHOW - WOLUWE SHOPPING CENTER
- DIMANCHE 27 JUIN 1971 -
Dossier réalisé et mis en page par Jean Jième - décembre 2008
et rewrité en mars 2021.

Le premier free show à Bruxelles - Wolu Shopping Center - 27 juin 1971 © Coerten
LA STORY DE L'ÉVÈNEMENT
Après avoir mis sur pied cinq POP HOT SHOWS et accueilli des dizaines de groupes étrangers depuis 1969, Paul André et Jean Jième, patrons de l'agence Century, décident de se lancer dans une opération d'envergure.

Installée dans une maison de coin au 7 de la rue des pensées à Schaerbeek, l'agence Century avec ses fenêtres à baïonnettes reflète un look typiquement british. La maison est vaste et comprend deux étages avec une cage d'escalier qui sépare l'immeuble en deux parties distinctes. Au rez de chaussée, à gauche, les bureaux de Century ; à droite ceux de Bernard Ker. Sur le plan privé, les protagonistes occupent respectivement les premier et second étages.
Quotidiennement, à force de voir ses colocataires dans leurs chemises à fleurs, s'activer à la programmation de concerts et à l'organisation de festivals, Bernard se rapproche du duo, tenté par l'idée de troquer son col et cravate pour une tenue plus relax, davantage en phase avec l'ère du temps. En effet, pour le moment, Bernard gagne sa croute en démarchant des contrats auprès de firmes publicitaires et commerciales. Dans sa profession, l'habit fait le moine.
Les trois protagonistes, lors d'une réunion, évoquent le projet de réunir un plateau qui feraient participer le parterre des groupes belges phares du moment, avec en apothéose une locomotive, grand format pour le final. Le tout gratuit pour le public grâce au financement de sponsors privés.

Jean Jieme et Bernard Ker |
On fait les comptes : la location d'une salle susceptible de contenir au moins quatre mille personnes, les frais d'assurances, l'organisation, la pub, la Sabam et les artistes : il faut compter deux cent mille francs (cinq mille euros).
À part Wolu-City, patronné par les commerçants et le conseil communal, aucun investisseur privé ne s'est jamais aventuré dans une expérience de ce type. Encore moins une modeste agence de spectacle telle que Century.
C'est alors que Bernard Ker lance l'idée. Pourquoi ne pas organiser, comme à Londres, un grand concert gratuit à Bruxelles dans un lieu qui reste à déterminer ?
A partir de cet instant, chacun s'attèle à une partie spécifique. Paul se met en quête d'un groupe étranger de renom pour un cachet accessible. Jième prend les contacts pour débusquer le lieu susceptible d'accueillir la grande foule. Bernard Ker se lance dans la prospection d'annonceurs potentiels.
Au bout d'une quinzaine de jours, il faut se rendre à l'évidence : aucun lieu public ne se montre enthousiaste à l'idée de voir déferler des hordes de jeunes" hippies" sur ses pelouses ou dans ses murs.
C'est une nouvelle fois Bernard qui va sortir un lapin de son chapeau. Il a déjeuné avec Monsieur Bodson, responsable commercial d'une énorme galerie marchande nouvellement construite sur la commune de Woluwe St Lambert, le Woluwe Shopping Center. Ce dernier s'est montré réceptif au fait d'ouvrir exceptionnellement l'espace, un dimanche, pour que puisse se dérouler l'événement.

Wolu Shopping ouvert en septembre 1968
Le but avoué de Bodson : faire connaître le complexe érigé en septembre 1968 à toute l'agglomération Bruxelloise et ses diverses communes, par le biais d'une manifestation populaire d'envergure. En outre le Shopping met un podium à disposition des artistes.
Les annonceurs, réticents au départ, se montrent soudain beaucoup plus intéressés. Se prêtent au jeu Cola Cola, bientôt suivi par Ford Cégéac Motors, Levi's, Douwe Egberts et quelques autres. |
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Les trois compères m'entraînent sur la Grand-Place de Bruxelles. Dans ce centre historique, ils me dévoilent leur projet insensé. À Woluwe, le Neuilly de Bruxelles, a récemment été inaugurée une imposante galerie commerciale, le Woluwe Shopping Center.
L'idée de Ker consiste à réaliser là, à l'intérieur même de la galerie marchande, un festival gratuit sponsorisé par des marques commerciales dont Levi's, Coca-Cola, Ford. Avec un aplomb incroyable, Ker parvient à convaincre tout le monde du bien-fondé de son idée qui se concrétise le dernier dimanche de juin 1971.
Extrait du livre Autant en emporte le rock de Jean-Noël Coghe/2001. Propos parus également dans le magazine français POP MUSIC.
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CASTING
Les trois comparses sont déterminés à engager un groupe charismatique. Ils songent aux Who, venus à Wolu City en 1967. Impensable en 1971, trop cher !

Who - Wolu City 1967
Les recherches s'orientent un moment vers T.Rex. Le téléphone chauffe entre Century et Chrysalis, l'agence qui représente Marc Bolan.
À un moment, Chrysalis donne son accord de principe. Ce serait sensationnel. Mais les négociations capotent. Marc Bolan n'a jamais été un type facile. Travailler avec lui a souvent engendré des nuits blanches à ses collaborateurs. La venue des créateurs de Hot Love ce sera pour plus tard. (*)

T.Rex
(*) Il semble que que le 27 juin 1971, Boland participait à une émission de télé en Allemagne. Ils ont raté dix mille personnes ce jour-là à Bruxelles.
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C'est alors qu'un nom jaillit du chapeau. Pourquoi pas le Golden Earrings ?
Ils ne se sont jamais produits en Belgique. On dit que ce sont des bêtes de scène. Qu'ils dépassent les Who en violence et en furie de décibels.
Seule réserve, ils ne sont pas encore très connus du public belge, malgré un excellent single Back Home. Que faire ?

Golden Earring
Paul Andréest tout de suite partant. Tenu au courant du projet, Piero Kenroll rappelle qu'en Hollande, dont ils sont originaires, leur réputation n'est plus à faire. On les appelle même les "Hollandais volants". Partout où ils passent, ils cassent la baraque. Le trio décide de prendre contact avec leur bureau de management. Ce sera un oui direct et massif.

Cover de l'album des Golden Earring
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DIX MILLE JEUNES... ET PAS DE SERVICE D'ORDRE !
Fin juin 1971. C'est le début de l'été. C'est a fin des examens. La situation sociale et politique de la Belgique est stable.
Malgré quelques petits mouvements contestataires étudiants, malgré l'herbe qui circule de plus en plus librement, les rassemblements ne semblent guère inquiéter les autorités communales.
Pour la forme, la direction du Wolu Shopping a averti le bureau du bourgmestre de Woluwe-St-Lambert qui prend acte de l'évènement. Aucune force de police ne sera déployée sur les lieux.
Si grabuge il y a, il sera toujours temps de faire appel à la police. Après tout, la Belgique n'est pas l'Hexagone et les Bruxellois ne sont pas les Parisiens. Si Mai 68 continue, trois ans plus tard, à donner de l'urticaire aux mairies et préfectures françaises, chez nous ce n'est pas le cas.
Bien entendu, pour ne pas tenter le diable, les organisateurs n'évoquent en aucune manière le style musical des Golden Earring, encore moins leur furie scénique qui risque de susciter quelques remue-ménage dans l'assistance.
En effet, le véritable gros risque de la journée c'est la bousculade. Un mouvement de foule désordonné, incontrôlable qui pousseraient des jeunes contre les vitrines. Ce qui risquerait de les briser et donc de les blesser.
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J.Jième : " Lorsque je suis arrivé sur place en ce dimanche 27 juin, tout paraissait tranquille. Une petite centaine de jeunes attendaient calmement que les portes du Wolu Shopping s'ouvrent. Ils avaient passé la nuit à proximité de l'évènement.
Par une porte arrière, les roadies du Golden Earring s'activaient à placer le matériel des Hollandais sur l'impressionnant podium dressé devant les escalators. Les musiciens belges arrivaient les uns après les autres. L'ambiance était au recueillement. Dans ce hall immense, on se prenait presqu'à chuchoter.
Nous nous demandions combien de personnes allaient se déplacer ? Pour nous donner bonne contenance, nous évoquions le chiffre de trois à quatre mille spectateurs ! Nous étions loin du compte.
Quand les premières notes de musique ont fusé avec la prestation d'Hiroshima, je me suis faufilé hors du shopping pour aller jeter un coup d'œil à l'extérieur.
Des quatre coins du gigantesque parking, j'ai vu débouler des colonnes de jeunes à pied, débarquant de voiture ou des bouches du métro tout proche. Les premiers rangs s'installent à même le sol, dans les allées, coincés entre les boutiques de mode, les escalators et les bacs à fleurs. "
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Pas de sièges pour s'assoir, pas de ventilation appropriée, pas d'accès aux toilettes, pas de cantine, ni bar, ni boissons vendues. Lorsqu'on regarde la foule amassée des trois côtés d'accès au podium, on peut se demander comment les jeunes ont fait pour rester aussi tranquilles durant les cinq à six heures de spectacle ?
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Bernard Ker présente le show © Coerten
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- HIROSHIMA - BISMARK
- CARRIAGE COMPANY - RECREATION
- JENGHIZ KHAN - THE PEBBLES
Un concert historique pour la POP belge
(Pop Music/France - Jean-Noël Coghe/ juin 71)

Hiroshima)
POP MUSIC : Le groupe belge Hiroshima démarre les hostilités avec son style marqué par les Doors..
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Bismarck
POP MUSIC : Le deuxième groupe, c'était Captain Bismark qui n'est pas inconnu en France. Initialement, Bismark était une sorte de super-groupe, puisque composé d'anciens membres de Wallace Collection et du Sweet Feeling. Mais le leader, Rob Thomas, a reformé un groupe aux tendances commerciales, teintées parfois de heavy music.
Bio de Bismarck
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Carriage Company © Coerten
POP MUSIC : Carriage Company se distingue par ses changements fréquents de musiciens.
Mais depuis le succès de In Your Room, qui fut disque de la semaine à Formule J (l'émission pop de la R.T.B.) le groupe semble plus stable. Composé de quatre éléments, Carriage Company pratique une musique très hard en scène.
Bio de Carriage company
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Les Pebbles © Coerten
POP MUSIC : Les Pebbles, de retour de Montreux où ils représentaient la Belgique, vécurent un joli succcès. Leur récent changement de line up (ils ont un nouveau batteur et se sont séparés de l'organiste) n'a nullement entaché le spectacle. Le groupe s'oriente de plus en plus vers un travail vocal, qui est d'ailleurs excellent.
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Recréation © Coerten
POP MUSIC: Recréation, c'est quelque chose. C'est un groupe de trois musiciens dont la composition fait évidemment penser aux Nice, ou à Emerson, Lake and Palmer, c'est-à-dire orgue, batterie et basse... Mais on peut arrêter là la comparaison... Ils ont représenté l'an dernier la Belgique au festival pop de Palerme, et depuis, ils sillonnent l'Europe. Ils figurent en Allemagne avec Jimi Hendrix sur un album, et ont tourné sur le Continent avec Sly And The Family Stone... Une terrible cohésion et un punch incroyable.
Bio complète de Recréation
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Jenghiz Khan © Coerten
POP MUSIC : Jenghiz Khan aussi est un phénomène. Il réalise actuellement l'une des meilleures ventes d'albums en Belgique. Dès qu'il fut formé, Jenghiz Khan a mis en boite son premier LP. C'est énorme. Sachez aussi que leur soliste-leader, Friswa, a réussi à faire vibrer huit mille personnes... Ce sont les actuels enfants chéris de la Belgique pop. Ils le méritent.
Bio complète de Jenghiz Khan
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ET ENFIN... THE GOLDEN EARRING

Golden Earring - Free show au Woluwe Shopping Center - 27 juin 1971 © Paul Coerten
La vedette : Golden Earring , le groupe hollandais qu'un différent au sujet du matériel d'amplification avait empêché de se produire à Bilzen l'année passée. Ce n'est pas un nouveau venu.
Il a débuté en 1964 sous le nom de Golden Earrings dans un registre très pop s'inspirant directement de la vague Merseybeat anglaise.
Avec ses singles ultra commerciaux, il a d'emblée été prophète dans son pays. Mais, en 1968, il s'est reconverti en formation hard rock et ses tournées lui ont même valu d'être acclamé aux USA et en Grande Bretagne.
Bizarrement, on ne l'a jamais vu chez nous et on ne sait donc pas très bien à quoi s'attendre lorsque Barry Hay (chant, guitare, flûte et saxophone), George Kooymans (guitare et chant), Marinus Gerritsen (basse et claviers) et Cesar Zuiderwijk (batterie) paraissent pour la première fois devant un public belge..
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Celui-ci va « ouvrir des yeux comme ça ». « Live », le Golden Earring est un monstre ! A part le Who, aucun groupe ne réunit un pareil brelan de bêtes de scène.
Durant deux heures le groupe se révèle écrasant de versatilité, de virtuosité, d'originalité et de dynamisme.
Hay, Kooymans et Gerritsen font des bonds d'un côté à l'autre de la scène, culminant avec une sorte de chant incantatoire sur fond de percussions à l'africaine et un solo démentiel du bassiste, comme pris de folie devant ses amplis.
Derrière le podium, les musiciens des groupes belges de début de programme en ont la mâchoire sur les genoux.
Pierre Raepsaet me glisse : « Misère, Pierilio, à côté de ça nous sommes tous des gamins ! ». Le public est en délire. Pour la toute première fois : il y a trois rappels.
Tiré de Gravé dans le rock- Chapitre 8
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Golden Earring - Free show au Woluwe Shopping Center - 27 juin 1971 © Paul Coerten
Marinus Gerritsen, bassiste du groupe, dans un show époustouflant de 45 minutes.
Golden Earring. Les enfants, quelle bombe ! Je crois sincèrement qu'à l'heure actuelle, il n'y a que peu de groupes comparables à Golden Earring. Monté sur scène pour un passage normal, environ une heure, le groupe y est resté plus de deux heures... Rinus (orgue et basse), Barry (chant, flûte et sax), César (batterie) et Georges (guitare solo) se sont livrés à un show fantastique.
En dehors des interprétations de leurs succès de hit parade Back Home, Holly, Holly Life, Golden Earring a traumatisé son public par une musique heavy, puissante et originale... Le bassiste, seul en scène, a effectué un solo de basse époustouflant...
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Bon nombre de solistes ne savent pas se servir d'une guitare de cette manière. Tout est parti d'un morceau qui devait durer près de 45 mn... Après un solo fracassant de Georges, Rinus s'est mis à martyriser sa basse d'une façon démoniaque, sous le regard ahuri de ses complices. Il s'est offert une défonce de premier ordre... Il l'a terminée épuisé, contre sa muraille d'amplis, dans la position d'un crucifié.
C'est à ce moment que le batteur, César, doté d'un talent de jongleur dans le maniement de ses baguettes, s'est lancé dans un solo qu'il a achevé dans les bras de deux road managers qui durent le soutenir après qu'il se soit jeté en arrière, plus ou moins hors de scène...
(Extrait de l'article de J.N.Coghe paru dans le magazine français POP MUSIC) |
Jean Jième : Ce fut un week-end bien chargé. On avait signé précédemment (avec l'agence Chrysalis) un contrat de quatre dates avec Savoy Brown.
La mini tournée démarrait le vendredi 25 à Hasselt. Le samedi, le groupe jouait dans l'après-midi à Charleroi et le soir même à Grimbergen. Le jour du free show, Savoy Brown terminait son périple à Villerupt.

Savoy Brown
Après la grand messe du free show, les responsables de la galerie marchande, enchantés des résultats engrangés, ont marqué leur accord pour une nouvelle manifestation prévue le 10 octobre suivant.
Une lettre de l'agence Chrysalis nous proposait d'engager T.Rex, à cette seule date.
Mais ceci est une autre histoire.
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