CLIMAT DE MÉFIANCE À BILZEN VILLAGE
Het Begijnhof (Bilzen 20 août 1970)
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Dès lors, les forces de l'ordre, police et gendarmerie, sont à pied d'oeuvre et appliquent des consignes strictes afin de surveiller ces jeunes chevelus qui déferlent. Gare à la morale ! Beuveries, drogues et envies de forniquer vont donc être la cible permanente des cerbères. Beaucoup de bruit pour peu de résultats. Les pandores feront chou blanc.
Victime de cette chasse aux sorcières, entamée en amont par la bien pensante BRT de l'époque, le sixième festival annuel de Jazz-Bilzen a bien failli ne pas avoir lieu. En effet, à la dernière minute, la radio télévision flamande a décidé de geler les subsides promis aux organisateurs de l'événement. Heureusement le magazine Humo viendra à la rescousse.
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HUMO, UN SPONSOR INCONTOURNABLE
Déjà en 1969, Karel Anthierens, rédacteur en chef de Humo, s'était investi financièrement dans le budget de l'organisation du festival. Ses buts : rajeunir son lectorat, accroître le nombre de ses lecteurs, souscrire de nouveaux abonnements. Mais il est bon de souligner que l'édition 1969 n'avait engrangé aucuns bénéfices. Au contraire !
Ainsi certaines tensions subsistaient entre Fons Coch, président du festival de Jazz Bilzen et Anthierens. L'un tendant à s'approprier un peu trop la paternité de l'événement, l'autre voulant ramener l'événement à trois jours maximum au lieu de quatre ou de cinq.
Si les organisateurs pensèrent un moment s'en tirer seuls, le bon sens finit par l'emporter. En effet, ils devaient tenir compte d'une sérieuse concurrence avec Kastival, le First Pop Event of Antwerp, Londerzeel, côté Flandres et les festivals de Châtelet, Parapluie des Vedettes et Heyzel à Bruxelles et en Wallonie.
Les frais de service d'ordre, l'importance du plateau, (depuis la création du festival, le montant des cachets alloué aux artistes avait été multiplié par sept), les pressions diverses des autorités communales, tout concourut pour que le partenariat avec Humo soit reconduit.
Afin de ne plus connaître de nouveaux déficits, un comité fut créé afin de réduire les dépenses et engager des artistes de renom accessibles aux cachets accessibles. Les décisions prises par le comité tombaient comme un couperet et étaient sans appel. Raison pour laquelle, il porta bien vite le nom de « Hakmes Comité ».
L'affiche définitive du plateau ne fut connue que trois mois avant les festivités. Humo déclara que « grâce à son soutien, ce qui n'était, au départ, qu'une simple manifestation de jazz était devenu le festival pop le plus ancien du continent ».
Fons Coch : « la jeunesse actuelle est définitivement acquise à la pop. Nous avons remarqué, depuis le succès de l'an dernier, qu'elle avait trouvé sa place dans notre festival, initialement destiné à des artistes de jazz. Les jeunes ont énormément aimé la mixité des genres. Cela nous encourage à faire preuve de créativité. Ainsi, au niveau de la programmation, nous allons introduire davantage de rock progressif, ce qui ne veut pas dire d'avant-garde, pour autant. Notre but essentiel consiste à rallier le public le plus large possible ». |
LA MANIF POUR LA LIBERTÉ N'A PAS EU LIEU
Les organisateurs du Festival ainsi que le magazine Humo avaient lancé un slogan : « Venez participer à la grande procession de la liberté ».
Tous les peace and poplovers de Belgique, d'Allemagne, de France et des Pays-Bas étaient venus en nombre pour y participer. Et pourtant, cette fameuse procession tant vantée par certains médias n'eut finalement pas lieu. Les festivaliers préférèrent s'adonner à l'écoute des groupes amateurs qui concouraient et flâner devant les échoppes improvisées sur des couvertures par des marchands de breloques artisanales. |
PROGRAMME DU FESTIVAL
VENDREDI 21 AOÛT
11Hr : concours d'orchestres amateurs : pop & beat
Victoire de Free Time Production devant Lagger Blues Machine et Blues Selection
16Hr : International show: pop & beat
Jenghiz Khan (B)
Burning Plague (B)
Pierre Favre et Stu Martin
Wild Angels (GB)
Golden Earring (Hol) -n'a pas joué Black Sabbath (GB)
The Kinks (GB)
Arthur Conley (USA)
BURNING PLAGUE (B)
En août 1969, à la dissolution de Four of a kind, Michael Heslop, se retrouve privé de ses complices Wim Hombergen et Roger Wollaert, partis rejoindre Kleptomania. C'est alors qu'il décide de reformer un autre groupe tout en gardant l'esprit heavy blues rock qui lui tient à coeur. Sa nouvelle aventure s'appelle Burning Plague. Il s'allie à Roger Carlier (basse) et à Alex Capelle (guitare & piano) et à Willy Stassen (batterie et harmonica).
Burning Plague
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La tendance musicale du groupe s'oriente résolument vers le blues. De plus en plus populaire, on les retrouve fréquemment sur la scène du dancing le Puzzle, Petite rue des Bouchers au centre de Bruxelles, aux côtés de Kleptomania, Doctor Downtrip, Jenghiz Khan, Waterloo et même Wallace Collection.
En août 1970, ils sont présents au Festival de Jazz à Bilzen, où ils précèdent Black Sabbath et les Kinks.
Bilzen cuvée 1970. C’est Michael Heslop de Burning Plague qui dénonce sur scène le mépris des organisateurs pour les groupes belges qui sont sous-payés et utilisés comme « bouche-trous » et Guy Mortier qui intervient pour annoncer qu’Humo leur paiera une prime de trois mille francs (qoit 75 €).
(extraits du chapitre 6 - Gravé Dans Le Rock)
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WILD ANGELS (GB)
Mal Gray et Wild Angels© Jazz Bilzen
Wild Angels est un étonnant groupe de rockers. Étonnant est un mot bien faible, car enfin à époque de l'underground et de la musique progressive réussir à s'imposer en jouant Long Tall Sally et Let's Get Together, il faut le faire ! |
Mal Gray et Wild Angels© Jazz Bilzen
Le secret ? Le dynamisme du groupe, son authenticité. Ce sont des gars qui croient vraiment en leur musique. Et puis il y a aussi le fait qu'après tout, c'est avec le rock que tout a commencé. Si les amateurs de free-jazz ne dédaignent pas le dixieland, il n'y a pas de raison que ceux qui aiment la musique heavy oublient, que sans des gens comme Presley et Little Richard, ils ne seraient pas là. Le rock and roll pur est dépassé, c'est vrai ; mais il n'est pas mort. Les Wild Angels en sont la preuve éblouissante. En Angleterre, où ils ont la cote d'amour pour le moment, leur premier album, Live at the revolution est dans les meilleures ventes. (Extrait de Télé Moustique N° 2311) |
Wild Angels© Jazz Bilzen
Formé en 1967, le groupe comprend : Mal Gray (chanteur), John Hawkins (soliste), Rod Cotter (bassiste), Bob O'Connor (batterie) et Bill Kingston (piano). Leur premier pasage en Belgique date à peine de quelques mois. En effet, ils ont été les vedettes du quatrième Pop Hot Show, organisé par l'Agence Century au Chateau de Trazegnies. C'était le dimanche 17 mai.
Cela dit, s'ils ne parviennent pas à s'imposer, c'est parce que le public de Bilzen boude le rock revival.
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GOLDEN EARRING (HOL)
Les musiciens de Golden Earring refusèrent de jouer sur la sono Davoli mise à leur disposition. Ils entendaient utiliser leur propre matériel. Ce qui leur fut refusé. Leur manager s'empressa de se rendre auprès du caissier pour encaisser le cachet. Inattentif, ce dernier règla rubis sur l'ongle sans se rendre compte que le groupe n'avait pas rempli son contrat. Les musiciens, pendant ce temps, repassaient la frontière.
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BLACK SABBATH (GB)
Black Sabbath © Erik Machielsen
Black Sabbath - Tony Iommi © Jazz Bilzen
Succès de foule dans une prestation au bruit assourdissant.
Aucun souvenir inoubliable.
Le public du vendredi ne brilla pas d'un enthousiasme démesuré. Jusqu'au passage des Wild Angels, qui réveilla l'atmosphère, les festivaliers avaient profité du soleil, du plaisir d'être ensemble, de boire et de consommer de l'herbe (Het Belang van Limburg). Même les Kinks ne cartonnèrent qu'avec « Lola ». Black Sabbath créa un peu la surprise, mais sans plus.
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THE KINKS (GB)
The Kinks © Jazz Bilzen
Ray Davies © Jazz Bilzen
Les Kinks s'en tirent plutôt bien. On pourrait dire : comme d'habitude.
ARTHUR CONLEY (USA)
Arthur Conley © Jazz Bilzen
L'ORGUE MASSACRÉ
Arthur Conley, le protégé du regretté Otis Redding et interprète du hit Sweet Soul Music, avait accepté de venir à Bilzen moyennant un cachet de cent mille francs belges (pour lui), une dizaine de tickets d'avion aller-retour New-York - Bruxelles-New-York pour ses musiciens, ses techniciens, plus un salaire mirobolant pour chacun d'entre eux. Evidemment ces demandes exorbitantes avaient été rejetées. Finalement, le manager de Conley avait transigé en demandant que son poulain soit accompagné par sept musiciens britanniques.
A titre de comparaison, Golden Earring réclamait vingt-huit mille francs, Wild Angels quarante mille et Black Sabbath soixante-trois mille francs.
Ces tarifs tout à fait habituels pour des artistes habitués à se produire aux Etats-Unis étaient tout bonnement insensés pour les organisateurs de Bilzen.
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Arrivé à Bilzen, Conley se comporta en véritable diva, exigeant d'être payé avant sa prestation. A force de retarder sa montée sur scène, il finit par se produire devant un public indifférent ou carrément endormi.
Pour se venger, l'organiste britannique qui accompagnait Conley martela si violemment l'orgue, mis à sa disposition, avec ses poings qu'il le mit en charpie. Il en coûtera trente-neuf mille francs pour réparer le malheureux Hohner Symphonic 410 L. Outré par son comportement, le public hua le musicien indélicat ainsi que ses congénères.
Le « manager » de Conley refusa de régler les frais de réparation de l'orgue, ce qui déclencha un véritable pugilat. Le musicien belge qui avait eu la mauvaise idée de prêter son orgue déclara laconiquement : « le mouvement Peace and Love du Flower Power est décidément bien terminé »
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SAMEDI 22 AOÛT
11Hr : concours d'orchestres amateurs : folk & blues
Le matin et le début d'après-midi du samedi connurent un déroulement à peu près similaire à la veille. Après avoir patiemment écouté toute une série de groupes amateurs (*), les huit mille participants quittèrent le village pour se rendre sur la plaine du festival.
(*) Les Crowin' Rooster (Bruxelles) furent déclarés vainqueurs, respectivement dans la catégorie « acoustique » et les Matter of Fact (Courtrai) dans l'« électrique », |
16Hr : International show : folk & blues
Doctor Down Trip (B)
Kate's Kennel (B)
Amazing Mystery (GB)
Kleptomania (B)
La consommation excessive de bières provoqua bien quelques échauffourées. Notamment durant la prestation imperturbable d'Amazing Mystery (et de sa jolie pianiste), qui parurent ne s'apercevoir de rien, tout en rythmant de leur musique les échanges de gnons. |
DOCTOR DOWN TRIP (B)
Doctor Down Trip © Jazz Bilzen
Guy Mortier s’en prend à la gendarmerie présente en force et perquisitionnant la camionnette de Doctor Downtrip pour y trouver « des choses qui ne devaient pas y être ». « La seule chose qui ne devait pas y être c’est un gendarme ! » déclare Guy. (extraits du chapitre 6 - Gravé Dans Le Rock)
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KLEPTOMANIA (B)
Kleptomania
Charlie Maker : jouer face à un public de huit mille personnes c'était à la fois grisant et impressionnant. Les réactions du public nous ont confortés dans l'idée qu'il nous considérait comme un véritable groupe de live rock. |
Kleptomania
Kleptomania
Lire la bio complète du Kleptomania
Dream (NL)
Johnny Dover Tentet (B)
Eddie Boyd (USA)
May Blitz (GB)
Dans le cadre des mélanges des genres, lorsque Johnny Dover et ses dix musiciens montèrent sur la scène pour se lancer dans quelques bons blues envoûtants, Bilzen retrouva son ambiance festive. Le public se mit à danser, à trépigner et même à chanter. Eddy Boyd, le vieux bluesman, qui leur succéda juste après, parvint à maintenir l'ambiance et le rythme et à se tailler le plus gros succès de la journée. |
MAY BLITZ (GB)
May Blitz © Jazz Bilzen
Si May Blitz se montra faiblard et assommant. Ce ne fut pas tout à fait de sa faute. Mais plutôt de celle des techniciens de la firme Davoli, dont les amplis se mirent à siffler et à cracher. Les effets larsen achevèrent de plomber l'ambiance qui se dégonfla comme un vulgaire soufflé. |
Cat Stevens (USA)
Humblebums (GB)
Badfinger (GB)
Screaming Lord Sutch and Heavy Friends
CAT STEVENS (USA)
Cat Stevens © Jazz Bilzen
L'artiste qui pâtit le plus des défaillances de la sono fut sans conteste Cat Stevens. Ayant opté pour une formation acoustique, il fut à peine audible et, lorsque du fond de la prairie se fit entendre un concert de bouteilles, il décida de battre en retraite en déclarant : « vous n'auriez pas dû faire cela, les gars ». Seuls les spectateurs au bord du podium entendirent son message désespéré.
http://www.youtube.com/watch?v=AjVeURhpQHo |
BADFINGER
(GB)
Badfinger© Jhdg
SCREAMING LORD SUTCH (GB)
Screaming Lord Sutch © Jazz Bilzen
Mais le pire arriva lorsque Screaming Lord monta à son tour sur scène. Ses pitreries habituelles ne firent pas mouche. Sa voix désastreuse, soutenue par une musique d'un autre âge,firent le reste. il tenta tout pour sauver les meubles. En vain ! |
DIMANCHE 23 AOÛT
11Hr : concours d'orchestres amateurs : jazz
15Hr : International Jazz Festival
Johnny Dover Big Band
Babs Robert Quintet
Willy Roggeman Jazz Lab 4 - Unit / Étienne Verschueren septet
Jan Wroblewski Quintet (Pol) / Pierre Favre en Stu Martin
Kevin Ayers (GB)
Rare Bird (GB)
Rare Bird © Marcel Uytdenhouwen
Rare Bird © Marcel Uytdenhouwen
Seuls deux mille cinq cents fervents amateurs restèrent le dimanche pour réécouter Johnny Dover et ses potes, suivis du big band suédois de Kurt Järnsberg et du Just Music Group, des musiciens allemands de free jazz.
La tentative de fusion entre jazz et pop avec la prestation de Kevin Ayers et le Whole Word fut décevante. Mark De Gryze du Vooruit nota que le point d'orgue de la journée fut la brillante exécution du Freddie Hubbard Quintet mais que le trop long délai d'attente entre deux formations eut raison de la patience des spectateurs qui ne se retrouvèrent plus qu'à quelques centaines à attendre Dizzie Gillespie, égal à lui-même, sans plus. « Jazz Bilzen 1970 aura vécu » conclut le Voorruit. |
Günter Hampel Group (All)
Annie Ross (GB)
Dizzie Gillespie (USA)
Freddy Hubbard (USA)
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UNE PRESSE QUI SE DÉCHAîNE
Au lendemain du festival, les titres de la presse ne furent pas tendres : « la sixième édition du Festival de Jazz à Bilzen fut un événement pop sans éclat », « une fête du jazz très décevante » , « beaucoup de bruit mais peu de musique », « Bilzen déraille », « mauvaise programmation ».
Et d'en pointer les responsables : « le prix de l'entrée, la sonorisation défaillante, l'organisation en général, la composition de l'affiche, le retard dans la programmation obligeant les spectateurs en pleine nuit à allumer des brasiers de fortune pour se réchauffer ».
Het Nieuwsblad titra deux jours plus tard sur sa une : « Bilzen, lieu de décadence » et « le présentateur a saboté le travail de la police ».
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Laquelle police déclara dans ces mêmes colonnes que « l'année prochaine, liberté ne sera plus synonyme de débauche ».
Le quotidien Het Volk fit remarquer qu'à part deux ivrognes, la BSR de Genk n'avait arrêté aucun dealer, ni trouvé aucune drogue chez les spectateurs. De son côté, la Croix Rouge déclara qu'elle n'avait pas eu à traiter le moindre cas d'intoxication.
Tant d'agitation pour si peu, déclara le rédacteur en chef de Humo, cela ressemble à une campagne malveillante de dénigrement.
De toute façon, l'année prochaine, on remet ça !
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Réalisation et mise en page : Jean Jième
avec la collaboration de Jazz Bilzen et Bilisium
Extraits du livre Jazz Bilzen traduits par Emeric Rezsöhazy
1965- 1981 (420 bladzijden)
Het boek over Jazz Bilzen is momenteel nog te koop bij de dienst Toerisme van de stad Bilzen in Alden Biesen, in het Stadhuis op de Markt in Bilzen en in cultuurcentrum de kimpel, eikenlaan 25 in Bilzen. De verkoopprijs is 39.50 euros. Het boek kan ook verstuurd worden.
Rekeningnummer 001-4574210-57
IBAN: BE 09 00145742 1057
T. 089 51 95 33 - 0478 57 21 10 - jeanpierre.poesen@bilzen.be |
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