Outre les biographies et essais divers, et autres livres de référence, il existe d'innombrables ouvrages qui contiennent des allusions réelles ou apocryphes à de nombreux artistes de rock, de rhythm and blues, de soul ou de jazz. Un bel exemple est ce recueil de neuf nouvelles du fameux écrivain James Lee Burke, qui a eu la chance de vivre son adolescence dans les années cinquante en Louisiane et dans le Missouri.
Il s'agit de courts récits souvent assez noirs, avec une nature et une fatalité immuables, au sein de laquelle s'escrime l'homme tant bien que mal.
L'écrivain est sobre, tout en retenue et en allusions. Rien de lyrique, de baroque ou de débordant. Il manifeste une sobriété typique d'auteurs de ce genre: on pense évidemment à Raymond Carver.
Les protagonistes sont plus des antihéros que de valeureux propagateurs d'une quelconque idéologie triomphante «God Bless America». Ils traînent souvent quelque lourd secret, quelque blessure qui ne les quittera qu'à leur mort. Le dévoilement de cette entorse, jamais guérie, survenue dans leur marche de vie constitue souvent la trame du déroulement narratif, entre deux descriptions de la nature, belle et indifférente aux tribulations des pauvres humains.
Ce qui est beau dans ce genre d'ouvrages: le contact avec le réel des passions, du cadre de vie fruste et sauvage, et de la tragédie éventuelle. Loin du culte du virtuel et de l'artificiel.
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LE SOIR OÙ JOHNNY ACE EST MORT
La nouvelle qui concerne les fans de rock est Le Soir où Johnny Ace est mort . Un groupe fictif de rockabilly est imaginé par Burke, avec le chanteur Eddy Ray Holland. Ces jeunes gens ratent l'occasion d'accompagner le fameux Johnny Ace, lorsqu'il se fait exploser le crâne la nuit de Noël 1954, en jouant à la roulette russe !
Ace est le créateur d'un magnifique classique, maintes fois repris: le slow Pledging My Love. Jamais il n'a ni n'aurait chanté avec des musiciens de rockabilly. Il s'agit ici non d'une erreur, mais d'une pure licence poétique.
En cette année 1954, Holland fait la connaissance d'une star montante: le Gominé, jamais nommé... Mais c'est bien Elvis ! Celui pour qui les filles hurlent, deviennent folles, assiègent son hôtel ou sa voiture, lui jettent leur culotte... Holland, en tournée, fait la connaissance d'une vamp chantante: Gin Fizz Kitty de Texas City. (Ce n'est pas une blague, et c'est de Burke et non de moi !) Un soir, alors que la chanteuse et Holland et son groupe emballent l'assistance dans un dancing délabré de l'Arkansas - mais qu'importe, on s'y éclate - le Gominé se pointe, avec Jerry Lee et Carl Perkins ! Vous vous doutez de ce qui arrive alors... L'aguichante Kitty se barre avec l'idole. Holland nie d'abord, puis ne peut plus ignorer son infortune...
Là où Elvis passe, les idylles trépassent ! Et le groupe se dissout bientôt, victime d'un acharnement d'un faisan du show-business, suite à la mort restée mystérieuse et louche (dans la logique fictionnelle de cette nouvelle) de Johnny Ace.
Vous l'aurez compris: James Lee Burke, qui dispose de toute la crédibilité pour cela, nous plonge dans l'atmosphère si dépaysante, et même fascinante par certains côtés, du Sud des années cinquante.
Avec ses jeunes ploucs pleins de talent et de rêves bientôt fracassés...
Une belle histoire qui nous tient en haleine. Eh oui...Petit clin d'oeil d'ailleurs à Jerry Lee et BREATHLESS !
CHRISTIAN NAUWELAERS
ÉPINGLÉ
Dans Le Soir où Johnny Ace est mort
«Vous savez quel est le secret pour devenir une star du rockabilly ou de la country ? Il ne suffit pas de porter des fringues à paillettes et des bottes pointues, cirées jusqu'à ce qu'on s'y reflète comme dans un miroir. Il faut jouer avec ses tripes, que ce soit aussi bouleversant que le corps de Jésus sur la Croix.»
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